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Ali Thareb... Khadem Khanjar

Ali Thareb - Un homme avec une mouche dans la bouche

Collectif - Habiter cette maison
(Ghada Khalifa, Abdullah Almuhsin, Kadhem Khanjar, Rasha Omran) 
(Alilades, 2017)

Disponibles ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici et ici...



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Extraits :


Bilan 

Nous conservons nos doigts
non pour les choses ordinaires
mais pour compter
nos amis qui tombent
les heures d'attente
les dettes
nos rêves évanescents
les années qui nous tractent vers la fin
mais aussi toutes les fois où nous échouons
à être des assassins

*

Sur la maison qui ressemble à une plaie

Cette fois-ci tu n'auras pas de mal à trouver notre maison
il suffit de demander
l'homme jeté il y a quelques mois par les membres d'une milice
nu dans la rue jambe brisée et visage retourné
la femme qui cherche le bras de son fils depuis qu'il l'a perdu dans l'explosion d'une bombe
la fille qui craint de sortir dans la rue depuis des années
le poète dont on se moque tous les jours
quand il longe les rues
demande à n'importe quel enfant sur ton chemin
les enfants nous connaissent bien
tous les soirs ils criblent notre porte de pierre et s'enfuient

*

Plusieurs fois
avant l'explosion de l'enceinte
le matin nous avons trouvé
dans le jardin de la maison
une enveloppe posée sur les cailloux
elle contenait un projectile
et une feuille blanche
avec une seule phrase griffonnée
Les oiseaux ne se posent pas sur des arbres morts

*

Avant nous mettions nos morts
dans nos chambres et nous nous entassions dessus
leurs cadavres étaient plus lourds que les larmes
un cri grandissant sortaient dans la rue
s'ils ne tombaient pas dans nos bras
quand nous les tirions des trous endormis dans nos mains
mais aujourd'hui
nous les mettons dans des chambres
pour que leurs enfants aillent vers eux en cachette
soulèvent les couvercles des cercueils
et tâtent leurs visages avec des bras désabusés

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Extraits :


L'explosion d'aujourd'hui est ennuyeuse
Comme à chaque fois
Un terroriste se fait sauter dans une voiture piégée sur un marché populaire
Ennuyeuse l'attente du décompte et des pronostics
Ennuyeux les cadavres des enfants déchiquetés
Ennuyeux de tirer les femmes de leurs larmes pour les ramener chez elles
Ennuyeuses les campagnes de don du sang
Une mort vraiment ennuyeuse comme de mourir dans son lit

*

"Flash Info - Dernière minute : découverte d'un charnier près de..."

Hier, je suis allé à l'institut médico-légal. Ils ont demandé une empreinte pour une comparaison d'ADN. Ils ont dit qu'ils avaient trouvé des os non identifiés. Et à chaque fois je tourne comme une orange sur le couteau de l'espoir.

Maintenant je suis à la maison mon frère, je dépoussière les fleurs artificielles qui entourent ta photo, et je les arrose de larmes.



Le rapport médical dit que le sachet d'os pour lequel j'ai signé aujourd'hui avant de la récupérer, c'est "toi". Mais ça c'est peu. Je l'ai étalé sur la table devant eux. Nous avons recompté : un crâne avec six trous, une seule clavicule, trois côtes en trop, un fémur en morceaux, un tas de poignets, et quelques vertèbres.

Est-ce que ce peu peut être un frère ?

C'est ce qu'indique le rapport. J'ai remis les os dans le sachet. J'ai frotté mes mains pour en enlever la terre puis j'ai soufflé sur la terre restée sur la table. Je t'ai mis sur mon dos et je suis sorti.



Dans le bus, j'ai assis le sachet à côté de moi. J'ai payé pour deux places (cette fois c'est moi qui paie). Aujourd'hui je suis assez grand pour te porter sur mon dos et te payer une place.



Je n'ai dit à personne que j'avais récupéré ce peu. J'observe ta femme et tes enfants qui passent près du canapé où je t'ai laissé. J'aurais aimé que l'un d'entre eux ouvre le sachet. Et j'ai souhaité qu'ils te voient une dernière fois. Mais tu es têtu jusqu'à l'os. Par le suite ils se sont interrogés sur la trace des larmes sur le canapé... !



Ca fait une heure que je range ces os humides dans le ventre du cercueil. Tentant de te compléter, seuls les clous sur les côtés savent que ça c'est peu.


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Beaucoup de l'essentiel a déjà été dit et écrit (depuis Tapin² - qui a initié leur diffusion en france - jusqu'à Tracks sur Arte en passant par leurs traducteurs dont Souad Labbize et Antoine Jockey) sur la milice de la culture, collectif "star" de jeunes poètes irakiens principalement constitué par Mohamed Kareem, Kadhem Khanjar, Mazin Mamoory et Ali Thareb. Plusieurs publications (chez Lanskine, La crypte et Plaine Page) permettent déjà de mesurer l'impact de leurs oeuvres : rupture avec la poésie lyrique traditionnelle du monde arabe pour une poésie faite de segments hyperréalistes, documentaires (plus que témoignages) irradiés par un pathos sanglant et frontal, prenant les formes diverses du poème "classique", de performances à haut risque et/ou fortement symboliques (courses dans des champs de mines, lectures dans des ambulances, des cimetières de voitures piégées...), de la photographie, de la vidéo... A la brutalité d'une réalité quotidienne cernée par la mort (entre guerres, conflits religieux et milices policières) au point d'en être insensée et cauchemardesque, ces propositions répondent donc par une violence concrète conçue comme acte de résistance, pas dénuées d'un certain idéalisme poétique à prendre comme un affrontement radical vie vs. mort. "Je ne connais pas d'autre bombe qu'un livre" écrivait Mallarmé... Loin, très loin des chaises longues de nos festivals de poésie... (Note : le très beau petit volume Habiter cette maison présente trois autres poètes égyptien, saoudien et syrien, tous pris dans les mêmes "tensions"). Hop !