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Christophe Petchanatz "le Héron"







Christophe Petchanatz le Héron (fragment)




(...)

(Ce matin, j'ai vu danser le soleil.)

(début juin 2013 (désordre)) - Je crois que le Héron m'a eu. Cette fatigue permanente, insidieuse, qui tapisse tout, partout, c'est lui. Partout je le vois qui ricane avec sa longue gueule de hyène difforme et hystérique. Dans les haies et les taillis, dans la tapisserie du salon, dans les plaies, les escarres, les borborygmes du fils de Gina, dans les pansements maculés d'humeur brunâtre dans les traces de merde qui s'étalent un peu partout c’est ça - Rorschach permanent tartiné d'excréments.
Il est devenu énorme, bouffi, le ventre surtout, juché sur ses longues pattes maigres à chaque pas il manque tomber. Ne pas rire surtout : d'un simple regard il vous transforme en loque sanguinolente. Et son pouvoir est infini. La seule chose qui nous sauve : la somme de ses tares. Distrait, idiot, vaniteux, crédule. Un Héron véritable (je veux dire un Dieu tyrannique, cruel et implacable) aurait depuis longtemps établi des plans parfaits, et réduit à néant la poignée de peigne-culs qui imaginaient lui tenir tête, voire - en venir à bout.
Mais j'ai d'autres desseins (un peu comme de raconter l'Émile (et une nuit) : la Bible, en quelques lignes.

"Au début (voix chevrotante exagérée) ça flotte dans le néant. Très vite, agacé, ça met de l'ordre (soi-disant), sépare le haut du bas, le sec du mouillé, le bon grain de l'ivraie. Ensuite il met des plantes, des animaux, quelques gens. Et la pomme. Les gens bien sûr tombent dans l'panneau. Ils sont bien punis et l'histoire peut enfin commencer. Suit une longue période de confusion, où ça est plutôt quérulent. Pluies de sauterelles, océan qui s'ouvre et se ferme, gros bateau plein d’animaux, une nuit sur le mont chauve, Sodome, Gomorrhe, des volcans, encore des animaux, mais plus petits, des crimes idiots (ou évités de justesse), du feu, du stupre, de la poix, de la fumée et puis pof : Jésus. À partir de là ça se tient mieux, l’histoire de Jésus. Jésus enfant, Jésus grandit et fait son singe savant. Jésus emmerde un peu tout l'monde, fait du scandale et s'entoure d'une bande d'individus peu recommandables. Ça tourne vite au vinaigre. Il multiplie les actions spectaculaires et les poissons, transforme l'eau en vin, ressuscite les morts, marche sur l’eau, etc. Ça énerve les juifs et les romains. Moyennant un modeste pécule, Judas le dénonce aux romains (on se demande bien pourquoi puisque tout le monde le connaissait, Jésus). Judas se pend rapidement avec une ceinture en cuir, Jésus est crucifié, tout le monde pleure - c'est le moment de l'Adagio d'Albinoni. Puis Jésus réapparaît, mais pas longtemps, et les disciples décident alors de partir explorer le vaste monde et d'écrire, chacun, sa version d'l'histoire. Là, le livre repart un peu en quenouille. Vers la fin (l'Apocalypse), après moult digressions oiseuses, ça redevient cohérent, il y a de l'action, des bêtes, des démons et même la télévision. Des éclairs, des inondations, enfin un peu tout. Et ça se termine comme ça : L'APOTHEOSE…"

J'ai entendu un aboiement terrible, féroce, apocalyptique. J'ai regardé partout : un chien minuscule, presque invisible…

"Une tête de six pieds sous terre" – Éric C., ce jour (24 avril 2015).

Nous avons exclu les mobylettes
Nous a- évoqué les insectes géants
Nous aaux grosses dents triangulaires les
Nous acadavres démembrés
Nous acontinuant de geindre
Et nous avons bien ri.
Nous avons remonté
(avec la manivelle)
la lumineuse mécanique
qui chasse les démons Nous avons
éternué - cela sentait la mort
le rance
la charognes
et comme chaque fois
d'une piètre pirouette tenter
de se sortir de ce mau
de ce bien mauvais pas
Certains achetaient du pain mouillé (il pleuvait)
d'autres comptaient leurs sous
j'avais sans le vouloir
pataugé dans une flaque c'était
- le ciel.

Nous marchions depuis quelques jours, harassés, dans la noire montagne. Trafics, contrebande, mais nous n'étions que des mulets. Nous parlions peu, ne mangions guère : nous marchions en silence et parfois nous dormions. Une nuit (mais comment distinguer ? Dans mon souvenir c'était toujours la nuit et les arbres hirsutes menaçaient et le ciel et les misérables qui, inconscients, osaient s'aventurer ici) je décidai de me perdre. De me laisser perdre. J'étais le dernier de la cohorte et assez vite on me distança et têtu je laissais faire, j’empruntais un sentier improbable et me mis à descendre à mi-pente, parmi les ronces et les branches tombées. On y voyait un peu : la lune. Mais la végétation devenait plus épaisse. Un nouvel embranchement - et je décidai de descendre à main droite. Le sentier est plus sombre, mais un peu plus confortable, et presque plat. J'avance au sommet d'une petite colline. A ce moment seulement je m'interroge quant au contenu de mon sac (j'en ignore tout) et sur la nécessité de continuer de le porter, selon son contenu… Des bouteilles, solidement bouchées. Au mieux : de l'alcool. Au pire, quelque substance chimique dangereuse, des explosifs peut-être. Je décide de ne conserver que la corde, qui était au fond du sac, et un petit crochet en métal, en forme de S. Fourbu, je continue. Tout aussi bien, j'aurais pu décider de rester là, m'endormir et me laisser mourir. Les choucas auraient tôt fait de nettoyer le terrain. J'imaginais quelques os, un morceau de toile rêche, puis la pluie, puis plus rien.
Malgré la fatigue, ma progression parmi cette végétation plus dense mais beaucoup moins agressive avait quelque chose d'amusant : libre, je me promenais. Et soudain (non, pas soudain : le phénomène était apparu de façon si subtile - lente progression luminescente - que je ne m'en étais d'abord pas rendu compte, tout à mes grandes enjambées sur la mousse et par les fougères) cette sorte de nuage aveuglant, duveteux, quelques couleurs mièvres, rose, bleu pâle, blanc douceâtre : le chemin (car sans le savoir j'étais toujours sur le chemin) d'un coup s'affaissait, tombait presque à la verticale, conduisant (?) vers cette chose étrange, attirante, ce que bientôt je nommai LA VALLÉE VERTICALE.
Je me penchai sur la pente, au risque de tomber. Mais je ne tombai pas. Moi naguère hanté - et presque soulagé - par l'idée de la mort probable, je décidai de me laisser glisser, assis sur mon sac comme sur une luge, et dévaler le chemin, quoi qu'il arrive. Mais je ne dévalais pas. Tout au plus fis-je quelques mètres. La glissade s'arrêta et - tout naturellement - je me remis debout : j'étais debout sur le chemin vertical. Et très paisiblement, avec un dernier coup d'Tmil derrière moi (et je ne vis qu'une sorte de trou très sombre presque complètement fermé par les ronces), je marchai en direction de ce qui me semblait être un village ouaté dont les contours, par je ne sais quelle manière, dégageaient une atmosphère de sérénité presque niaise où j'étais impatient de me plonger [Le texte s'arrête ici, il s'agit, retranscrit de manière lisible, tout en tâchant de respecter le style tout particulier de l'auteur, probablement un autodidacte, des quelques pages écrites au crayon de bois sur un petit carnet relié de fils épais, trouvé dans un sac de toile rude, près de quelques ossements humains, épars sur l'ubac d'une montagne peu praticable fermant une vallée fort reculée et qui fait frontière avec les contrées du Nord. Le sac contenait seulement ce petit carnet et un minuscule crayon de bois ; pas de trace de corde ou de pièce métallique en S. L'identité de l’auteur est restée inconnue jusqu'à ce jour (et d'ailleurs, ici, en ces temps plus que troublés, qui pourrait bien s'en soucier ?). Ce carnet m'a été remis par un villageois qui le tenait d'un gabelou, lequel l'avait dit-on confisqué à un berger illettré. On n'en sait pas davantage. Toujours est-il que dans les vallées d'ici, l'histoire de La vallée verticale semble connue des plus anciens, lesquels ne finissent par l'admettre qu'après moult réticences, quelques verres de génépi et sans aucun commentaire. Très vite ils se détournent et regardent au loin.]

Ils sont - venus - cette fois
mâchoires en fonte c'est
curieux je sais bien mais
ils sont tellement grandsils ne risquent plus rien.
Je me demande pourquoi je m'échine
à enfin àpour tout un chacun
expliquer l'évidence
(é[vide]nce)
enfin, ce genre de paysage,
mi-réel mi-
maladroitement
dessiné
(laborieusement)
Derrière le buisson (et cela bouge) acide
les farfadets malfaisants plats
nez menton doigts crochus ils susurrent mielleux
– viens, viens…
Alors le grand jeune homme
barbu enjambe la fenêtre et
se laisse tomber
L'insolence, l'arbitraire, les abat-jour.
Déclic parfait d'une arme parfait
tement préparée le tout
cinématographiquement préparé (aussi)
comme une carbonara
exquise ensuite
sang, sanie, morceaux d'os et de tendons
c'est évidemment moins agréable c'est le
prix à payer pour qu'on nous
foute la paix
(manière de dire…)

Lire au nid.

De tous les
rangements et dérangements
fonds de tiroirs
(et bourrons)
lourds chevaux piétinant la glaise s'y
engluant
arêtes de poissons
filant
et presqu'éteintes
les petits pots
(bleu, jaune, rouge)
sur une île d
une île d
île déserte et cocotiers d'où
sans cesse
dégringolent
des cadavres de singes.
On a mangé
toutes sortes de viandes
- et c'était bon
des tranches fines presque noires
grands animaux
beuglant dans le brouillard
passés à la moulinette : heureux.
Ils se précipitent sur la gravide
la frappent à coups de bâtons
('vec un clou en travers)
cependant que le patriarche
dubitatif (c'est mon père)
tripote sa barbe dou
teuse d'un air dubitatif ils
s'en donnent à cœur joie, tapent
de toutes leurs (petites) forces et ça
gicle bien rouge et c'est joli
sur la nuit noire la nuit noire
toute veloutée c'est
joli - hein ?
Passer son temps à déféquer,
de toutes les façons im
mense conduit luisant et
arrogant (oui) pipe-line
reliant précisément
le premier et le dernier
étron
Ça se résume à ça.
Dehors les longs cris longs
des démons c'est usé
peut-être sont-ce des cris
d'antan, de jadis
des cris qui sont restés comme ça,
dans l'air
et qu'on ne comprends pas.

Ils roulent des roues immenses elles sont très lourdes, en bois Très lourdes très larges ça t'aplatit un continent comme une merde (paraphrasant feu-mon père) Très lourdes et ornées de petits clous carrés cela laisse dans le sol des empreintes curieuses, irrégulières, comme un message avec des morceaux d'os, de peau, du sang et des cheveux Ils roulent des choses immenses, des choses très anciennes, et creuses Très lourdes ensuite elles dévalent les coteaux écrasant les paysans épouvantés elle est si grande qu'elle cache le soleil alors il fait nuit noire et des astres plus sombres encor dévalent les coteaux, lourdement, en cahotant, brinquebalant, mais tellement vite...


(Fragment d'un - long - travail en cours. état 2015)


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Christophe Petchanatz (1959)
fut un temps l'animateur des exemplaires Editions de Garenne. Il est musicien, écrivain, photographe. Activiste et pilier de l'underground depuis les années 80, son œuvre prolifique est difficile à répertorier. En tant que musicien, il a multiplié les incarnations (souvent collectives) investissant de nombreux styles (industriel, ambient, new wave, chanson…) sur plus d'une centaine de publications. Klimperei (créé en 1985) est son projet principal, toy music entre comptines bancales, valses et pop approximative. De la même façon, l'écrivain a disséminé son œuvre (et celles de ses divers hétéronymes) dans une myriade de publications en revues, fanzines, plaquettes et livres dont il faudra bien un jour dresser l'inventaire impressionnant… En attendant, son site est une base d'exploration idéale (et inépuisable). - le Héron, dont n'est publié qu'un court fragment, (d'autres sont visibles ici), est un - très long - travail en cours mené avec le soutien d'une bourse à l'écriture de la région Rhône-Alpes en 2008 et 2013. Hop !