+++++++++++++++++ + Cantos Propaganda ++ + Structured Disasters since 2014 + ++ Cantos Propaganda + ++ Cantos Propaganda ++ +

Johan Grzelczyk "Données du réel"






Johan Grzelczyk Données du réel

Disponible ou sur commande dans toutes les librairies ou directement sur le site de l'éditeur ici




+++


Extrait :


plutôt que de réparer le garçon on avait préféré fabriquer une fillette. sa tête émergeait du drap stérile comme d'une flaque d'eau croupie. le visage blême de n'être pas encore née. pas tout à fait. les cheveux entremêlés de pétales de duvet. bientôt elle allait éprouver le besoin de se remplir d’autrui. de le faire couler en sa bouche. de le sentir lui réchauffer la gorge. lui combler l'estomac. mais pour le moment ses lèvres blanches demeuraient verrouillées. la bouche close par déni. spontanément rétive à toute ouverture en direction de ce monde qui l'avait engendrée. comme on fait un cadeau par nécessité. un présent dont tout le monde se fout. comme un poisson mais mort. bientôt oui elle allait devoir se déplier. offrir accès comme inviter. elle n'aurait pas le choix. si elle ne voulait pas qu'on la crochète il lui faudrait d'elle-même faire béance. laisser entrer l'étranger. que son regard inquisiteur se repaisse de son intime saccagé. on avait préféré faire une fillette. que du bout des doigts il fasse mine de redessiner son anatomie. qu'il ausculte son membre fantôme là où on l'avait creusée. qu'il la pelote à mains gantées. si elle ne voulait pas il lui faudrait. qu'il s'immisce en elle toujours un peu plus. qu'il la sonde en profondeur pour s'assurer. pour vérifier que sous la surface c'est bien de cela dont il s'agissait. d'un genre en devenir. d'un corps en pièces attitrées. plus tard encore il lui faudrait croître. croire en cette enveloppe évasée qui aura été modifiée. vérifiée. expérimentée. y croire cependant et s'ajourer cette fois pour augmenter. mettre à jour ce qu'elle sera devenue. une fille que l'on aura préparée.


terrassement et inspiration. ils ont ôté les mots de nos bouches. reste à parler avec toutes les lettres qui n’en sont pas. qu'aucune preuve non plus. de savoir en sourire en revanche. n'y pouvoir que et les croire en cagoule. tout à causer domination. domestication de derrière le dos les mains. à plaisanter les ignorants. à crier en premier lieu. suite de quoi la glotte comme rage manque et dédit. meurtre mais à la meute on dénie. de fureur s'alimenter. ouvrir lentement sans compter. c'est bien le moindre au ralenti des dents. tenir le propos. donner au dedans la plainte une maternelle diction. cesse cesse. abandonner d'avance. œuvrer en tout genre sinon des sens exhumés les ravir. a contrario de ce qui jaillit. polyglotte sans un son imbibé de nervures buccales. ou ce dont fait office lorsque mot manque à l'appel. rendre bouche à la brute. aux pelotons cadencés les rivages. en amont les bisser. emphase pour compléter. n'a qu'à danser au carnaval de l’imposture. palimpseste de la parole et de sa copie. chorégraphie du faux-semblant. défilé des alibis. massés sur les trottoirs les sans-dents font chahut. jettent à tous vents des fruits. debout la meute. armés de pierres et de bâtons ils se voient rouges et dansent. rouges vocifèrent. rouges et bientôt sifflent la fin de la parade. debout l’émeute. encore une fois sinon de sens. 


nous sommes déjà demain. nous sommes ici déjà demain. jouant de nos restes. disposant les ruines à notre gré. comme des briques de lego que l'on aurait rongées. déformant les souvenirs selon notre bon vouloir. ne manquent que des bibelots pour en témoigner. avec le reste nous les avons cassés. depuis c’est déjà la nuit. peuplée d'étranges silhouettes muettes. formes informes qui ne veulent rien dire. qui se refusent à parler. c’est la nuit prématurée. pas même noire. habitée et grouillante de sons dont nous ignorons la langue. bruit du sable en crachin sur le visage. bruit du givre dans les yeux. bruit du cœur qui s'ébat. ce bruit qui serre et qui oppresse. ce bruit-là qui empêche. oui qui empêche que la nuit ne se répète. au jour d’après nous voici. nullement décontenancés. les cheveux salis par la suie des gravats. nos bouches recouvertes d’une croûte salée. nos gestes paresseusement lents. lourds de nonchalance. hirsutes et puant la lie de l'espèce. têtes et corps inclinés. n’y voyez pas un signe de repentir non. au lendemain on ne regrette rien. il n’est déjà plus temps. nous sommes sans héritage. nous demeurerons sans succession. car à quoi bon reconstruire ce que nous n’avons pas eu plaisir à détruire. nous faisons nôtre notre pâle compagnie. nous nous en contenterons. nous ne sommes pas même convaincus de nous survivre. la vie d’ici a cédé sous nos coups. l’effondrement a eu lieu. bien entendu nous avons violé les mères. tué les pères. c’était inscrit dans les livres que nous ne prenions plus la peine de déchiffrer. nous errons dorénavant parmi les débris. des outils mal forgés à la main. à la recherche de quelques choses de quelque goût. vestiges du monde dont nous nous sommes libérés. décombres dont nous pourrions aujourd'hui nous contenter. trouver matière à nous distraire pour peu qu’ils aient encore assez de consistance. un semblant de résistance à opposer à notre génie. 


avec ce trou au beau milieu ça ne ressemble plus à rien. ça ne fait plus peuple. y a comme un vide c'est sûr. un espace vacant à remplir d'effroi. la populace manque. de la réflexibilité des masses populaires. c'est par pans entiers qu'elles fuitent. qu'elles creusent des fosses à renversement. pour une désertification volontaire. l’absence est une arme de destruction plaintive. et ce n'est pas en disposant des plots oranges pour empêcher l'anarchie qu’ils changeront quelque chose au peuple qui s’estompe. cette déportation là oui. à force d'interstices bientôt ne reste plus que les bonshommes du pourtour. un vrai papier à musique. perforé de partout. la mélodie du dépeuplement va bientôt grincer aux oreilles. ils vont finir par entendre. par le voir ce grand trou du milieu. mais il sera trop tard. trop tard pour rapiécer la cause perdue du peuple qui n’y est plus. trop tard pour remplacer le peuple disparu. à supposer qu'il n'y en ait jamais eu.


à chien-fer contre chien-feu chien-fer est sans rappel ni retour. une bête tout droit tombée des enfers pour goûter du diam’ avec la gueule. mâcher de la caillasse comme si de rien. un putain de fauve des terrains vagues. bouffeur de rats crevés. bâfreur de limaille. chien-fer qui de ses crocs mord les mots. la babine lâche pour en extraire un rare alliage de poussière. en vain chien-fer fouille. au risque de la casse. car les crocs le fer le diamant pour rien. inutile morsure jusqu'au sang la babine. taillade minerais et compresse de langue. cataplasme de chair pour chien imberbe. la gueule fermée sur ses crocs. que plus rien ne filtre du sens en coulure. le sang de chien-fer anti-coagulé à la lèche. chien-feu lui ne craint rien. il impose l'idée du brasier. l'audace du bûcher. la hantise du feu pour tous. quand chien-feu fait incendie se lève. sa pisse un acide ardent. ses selles une boue radioactive. et lorsque chien-feu crache à la gueule de chien-fer c’est sous une cendre rougeoyante que ce dernier disparaît. chien-feu ne craint rien. pas même l'acier froid des armes fumantes. ni la mâchoire poignard de chien-fer. à chien-feu contre chien-fer c'est chien-feu qui gagne à tous les coups. nature ne se dédit. chien-feu l'incandescent. des orbites l'étincelle. du museau la lave. de la gueule les flammes. les flammes de chien-feu que rien ni personne. les flammes de sa rage qui ne s'étouffe. sa rage qui jamais ne s'éteint. la rage de chien-feu est son atout. son atout contre la haine froide de chien-fer. c'est un feu sans fin qui le consume. qui transforme en brasier ce qu'il approche. chien-fer à babine. limaille de diam'. et mots minerais compris à proportion qu’indiqué.


+++




Johan Grzelczyk (1973)
a écrit une thèse de doctorat en philosophie, des cartes postales estivales, des critiques d'art, des rapports d’activités divers et variés, des articles de presse et des textes relevant de ce qu’on appelle communément "poésie" publiés en revues (Boxon, Teste, L'Intranquille, Ouste, Pli...) et sur quelques sites (La vie manifeste, Sitaudis, remue.net...). Données du réel est son premier livre, d'abord partiellement publié en feuilleton sans ordre (chrono)logique. Il commence partout (sans début ni fin... "au commencement était déjà commencé."), oppose au constat des logiques et à l'ordre binaire du monde "réel" (qui inaugure le livre) le chaos des impressions, ses repensées politiques et intimes, entre froideur punk (la ponctuation réduite au point encourage un rythme rapide et direct, favorable aux lectures publiques) échappant au simplisme déclaratif et reconstructions décapantes plus ontologiques. C'est un texte qui suit son cours sans creuser son lit.
Johan Grzelczyk a par ailleurs publié en 2016 un vif ensemble de "répliques textuelles" à un travail artistique de Jérôme Progin dans Numéro n° 7 (Musée Vivant des Enfants, 2016) ainsi que tracer_dessiner_écrire (également aux éditions Ni fait ni à faire, 2019). Hop !