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Extraits :
Le revers de la médaille
Un héros tombé au champ d'honneur
gît face contre terre dans le fossé,
veste trouée, sa face une horreur,
il a quatre trous sur le côté.
C'est bien dommage pour la vareuse
pour le pantalon et la chemise
mais la compassion n'est pas de mise
lors d'une mort aussi glorieuse.
Bien qu'il n'ait aucunement souffert
des gaz, des mortiers ni des obus,
mettons la médaille à son revers
pour éviter qu'il ne meure tout nu.
L'essentiel est que sa nudité
soit soigneusement dissimulée.
L'honneur d'une telle médaille
vaut quelques trous dans les entrailles.
12 octobre 1944
"La guerre est héroïque quand on en entend parler sous la forme de communiqués, mais ce qui se cache derrière n'est pas toujours aussi magnifique." Un journal stockholmois
***
Scrupules de conscience
Allons, chapeau bas, mes amis
devant ces accusés nazis
qui, au procès de Nuremberg,
ont la conscience très sévère.
Ils ont brûlé, assassiné,
violé et encore étranglé.
Mais c'était parce que leur conscience
le leur dictait sans réticence.
Leur âme, qui est si délicate,
a fort souffert au tribunal.
Ne serre pas trop la cravate
bourreau, tu leur ferais très mal.
5 juin 1946
Les criminels de guerre jugés à Nuremberg s'abritent derrière leur conscience.
***
Sans abri
Les nuits de septembre sont dures.
La pluie affûte ses aiguilles.
Déverse donc sur nos guenilles,
ô ciel, toute cette froidure.
La vie s'expose aux intempéries.
La rue est noire pour le vagabond.
Les étoiles le guident, dit-on.
Sans aucun doute mais vers quel abri ?
La grande Ourse servira de guide
et protégera le vagabond.
Les étoiles étendent leur fanion
sur notre caserne bien vide.
Laisse, ô ciel, pleuvoir tes glaçons
- le monde a peut-être de l'espoir.
Un tas de bois prêt sans façon
au solitaire son ombre noire.
27 septembre 1946
Les autorités militaires de Stockholm ont refusé de mettre les lits des casernes vides à la disposition des nombreux sans-abris de la ville.
***
Nouvelles de la Bourse
Celui qui ne possède pas d'actions
ne sait pas en quel dur péril il vit.
Seule la Bourse comprend la situation
et c'est la première qui réagit.
La sensibilité de l'être humain
est le plus grand de tous les mensonges.
C'est la corbeille, notre grand devin,
qui est l'interprète de nos songes.
Dans notre monde de joyeux frimeurs
la Bourse passe toujours avant la vie.
Si l'indice plonge comme un flotteur
c'est nous qui allons mourir d'asphyxie.
1 décembre 1950
Comme toujours, c'est la Bourse qui a en premier compris la gravité de la situation actuelle.
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Crime parfait
Messieurs, je proteste !
Le crime parfait
n'est pas le fait
du criminel
mais du bourreau.
Le crime absolument parfait
est chez nous fonctionnarisé.
Le criminel dispose donc
d'un véhicule de fonction.
La justice est ici un loup
en comparaison duquel
les loups sont de vrais agneaux.
Certes, les loups déchirent, ma foi,
les gorges à belles dents
mais jamais en glapissant :
on est au service de la loi.
29 janvier 1953
Hier a été pendu un jeune anglais condamné à mort à la place d'un camarade mineur pour le meurtre d'un policier. Le crime avait été commis après l'arrestation du jeune homme.
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"Le titre de ces billets (Dagsedlar) est un chef-d’œuvre : il veut en effet dire, littéralement, billets quotidiens ; mais il n’est pas exclu d’y lire billets de Dag(erman) ni d’y voir une allusion à peine déguisée à l’expression populaire suédoise "donner un coup sur la gueule à quelqu’un". Jusque après son dernier souffle, Dagerman aura ainsi poussé ses "coups de gueule" et tapé sur toutes les formes de la bêtise humaine. Cela devrait suffire à faire de lui le perpétuel contemporain de tous les humains" (extrait de la préface de Philippe Bouquet).
On ne présente pas Stig Dagerman, célèbre écrivain suédois né en 1923 et suicidé en 1954. Ces Billets Quotidiens (choisis parmi les 1350 donnés à un journal de Stockholm jusqu'à la fin de sa vie), mirlitonnades désespérantes et mordantes, continuent encore de le distinguer en anarchiste convaincant parmi la meute des anarchistes convaincus... Ils devraient, en toute logique, pousser à lire toute son oeuvre, et pas seulement parce que notre besoin de consolation est impossible à rassasier...