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Astatine "Chamber Fracture"

Astatine Chamber Fracture (LP/CD Orgasm Records, 2014)



Extraits

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Astatine, c'est de la pop de bâtard, irrévérencieuse, lo-fi (pour de bon : craquements, ratages, sauts, grésillements, perturbations) où se rencontreraient, dans une chambre qu'ils détruisent, Hood et Dead C. C'est l'intime qui se noue dans du brouillard et du fuzz, du grain et de la ferraille ; la plainte qui s'arrache d'une friche vaste et noire, où l'on continuera de jouer au football envers et contre tout, comme des gosses avec leurs propres règles et sans oublier de contempler le paysage quand il y en a besoin.
Ecouter Astatine, ça dénude, ça peut dévaster. Et ça se mérite car comme une métaphore de l'extrême rareté de l'astate - une trentaine de grammes sur toute la croûte terrestre - chaque disque est limité à quelques dizaines d'exemplaires. Mais tous s'écoutent à l'infini.
Dans ce brouhaha instable et sublime, il y a une constante, fondamentale et discrète : Stéphane Récrosio. Ce Saint Nicolas et Rubelz/Ruppknecht dirige depuis 20 ans environ le label mythique Orgasm Records (Hood, Sun Plexus, Kg, Famous Boyfriend, Boyracer, Steward, Graham...) et fit partie jusqu'à sa dissolution en 2011 du groupe (mythique également) Acetate Zero (à Hood et Dead C, ajoutez parfois un zeste d'électronica, Bedhead et une bonne dose de tout bruit émanant de Nouvelle-Zélande... par exemple ici).
Du plaisir et des maux, donc... dont Astatine est l'expression la plus cruciale et recentrée, que Stéphane Récrosio accompagne parfois de textes, des textes de "plumitif récréatif", qu'il distille avec le même élan : franc, conscient et sans duperie. Comme ça... Souvenirs déchus et histoires simples racontant la quête permanente de graals en lathe-cut, les concerts, l'importance du vermouth et de la boulangerie dans les aléas amoureux, le soi et le temps perdus, les promesses d'éternité...

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L'armée des morts (extrait de Souvenirs Déchus vol. 2, spasm49, Orgasm Records, 2014)

  A l'heure où un américain du même âge pose la première pierre de sa vie adulte, un français se retrouve rasé et parqué pendant de longs mois.
C'est ce que j'avais écrit à l'époque de mon incarcération chez les fusiliers commandos de Villacoublay. Quelle misère de se retrouver dans une chambrée, même pas délabrée, même pas ça, à n'espérer que le soir, quand l'autre d'à-côté sortira sa jenlain et qu'on pourra s'assommer assez pour ne plus avoir à y penser. Penser que ce n'était pas vrai, qu'on a pas fait exception à la règle, que ta copine n'attendait que ça pour se faire la malle alors que tu habites même pas avec et que maintenant ça risque plus d'arriver ; qu'énervé, tu pourrais en foutre en l'air quelques uns, comme cet alcolo d'adjudant, si méchant, comme une teigne, qu'il faudrait y aller à coup de famas, pour une fois il servirait à quelque chose cet espèce de fusil d'assaut à la con, mais au bout du compte, tu rejoindrais fissa le pourcentage des pertes admissible. Cela ne ferait pas un pli.
  Alors, tant pis, chaque matin, à 4 pour le chant, 3-4 ! "Loin de chez nous, en Afrique...". Mon dieu. J'avais bien rencontré des types valables, flippés de ne pas être certain de retrouver ce qu'ils avaient laissé dehors. Dix mois, c'est pas la mort mais très vite on ne savait plus trop où on en était. Le commandement avait décidé qu'on était plus trop fréquentables et ça n'avait pas l'air de nous gêner. On chantait mal alors on nous avait mis loin de chez eux, loin de leur choeur. Paris, Ballard. Enfermés chez les huiles. L'Etat major, de garde, pas moyen de sortir pour voir ce que valait la vie, notre vie, les filles, la sensation même de traverser au feu vert. Au lieu de ça, des patrouilles en rasant les murs, des fausses alertes chaque nuit, intervenir pour du vent, le messe des officiers pour s'empiffrer parce que c'était gratuit et bien meilleur que chez les troufions. Sarajevo pissait son sang sans fin, des dirigeants Hutus continuaient d'être exfiltrés, ou l'inverse, c'était trop loin, juste à côté.
C'était confirmé, mes groupes favoris, Hood et Boyracer, ramenaient leur fraise à Paris, en avril, dans un rade niché à la Villette. Evidemment, aucun moyen d'y échapper, pas plus que de s'échapper ce jour là. J'étais de garde, bloqué, je ferme ma gueule.
  Sur la même base, j'avais retrouvé mon pote François connu l'année d'avant en Floride lors de nos études. On se ressemblait un peu alors, avec nos cheveux longs, à partir joyeusement en sucette - il m'avait même pissé dessus un soir de connerie. Tout ça c'était du flan maintenant car même s'il avait été pistonné et qu'il était en bleu pour un emploi de bureau à Paris, il se pelait aussi dur que moi et sa coupe de cheveux était aussi foireuse que la mienne. On l'avait affecté au service des laissez-passer. Pardon ? Vite fait, une simple photo d'identité avait suffi pour me procurer un document plus compliqué à obtenir qu'un permis de conduire ou je ne sais quoi. Plus difficile même qu'un passeport, enfin, à l'époque.
  J'irai donc. De toute façon, j'y serai allé. Mes quatre compagnons d'escouade n'en menaient pas large, pas envie de se faire manger leur perm' mais ils n'avaient pas le choix : il fallait qu'ils me couvrent.
Le soir prévu au moment de la pause manger, je leur faussai compagnie. De vert vêtu dans la rue, j'étais tout sauf camouflé mais qu'importe, je cavalais. Une simple halte à l'épicerie du coin avait suffi à m'armer pour partir à l'offensive de ma guerre. Trois 8.6 en poche (quand elles taillaient encore réellement 8.6°), j'étais paré pour prendre d'assaut le métro et traverser paris de tout son long. Installé dans une place au fond, j'avais tout le temps de déguster mon breuvage et donner ainsi de l'armée française une image glorieuse. A mi-parcours, j'étais déjà gris, j'avais la banane. La fin du trajet, je ne m'en souviens plus.
  Il faisait un temps de chien, genre clébard dégueulasse, retors et fourbe : ce n'était pas des cordes qui tombaient, mais toute l'eau de la création. Arrivé devant le bar, les anglais, que je connaissais bien, m'accueillaient avec une joie proportionnelle au paquet de flotte qui s'abattait autour. Une joie amplifiée par une certaine incrédulité car on ne m'attendait pas. Ils avaient devant face à eux une chose kaki revenue d'entre les morts, un Lazare nouvelle génération, beurré et rigolard. Plein d'amis étaient là aussi, mieux fringués c'est certain, et même mon ex-copine. Merde, une autre bière, et vite.
Le concert de Hood fût splendide et tendu. le meilleur que j'ai pu voir et surtout ressentir, malgré mon état très critique. Je me sentais insubmersible alors que je coulais déjà à pic, j'hurlais ma liberté et ça n'en valait vraiment pas la peine. Le concert de Boyracer m'acheva : ils jouèrent vite, si vite.
  Ensuite on se retrouva tous chez mon ex, évidemment. Me souviens plus,.. Elle me ramena en voiture et en y repensant, c'était comme si elle voulait s'assurer personnellement que je regagnais bien ma geôle. Le laissez-passer fit son office, je me glissai dans le poste de garde, passais le sas sans encombre et je retrouvai mes compères. Il n'y avait pas eu d'alertes, point de comptage, nul tracas. De toute façon je sombrai aussitôt pour me réveiller le lendemain avec la garantie de passer une journée intense à m'occuper d'une gueule de bois magnifique et infinie. Ce fût le jour le plus utile et intéressant de tout mon service militaire.

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Astatine
Orgasm Records
Acetate Zero
Arbouse Recordings