Peretz Markish Le Monceau (L'improviste, 2000)
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Extrait :
Pour vous les massacrés d'Ukraine
vous dont la terre fût remplie
pour vous aussi, égorgés du Monceau
A l'origine araratique du Dniepr,
Kaddish !
Non ! Ne lèche pas, ciel de suif, mes barbes poisseuses !
Ce sont des torrents bruns qui giclent de mes bouches !
Ô noir levain du sang et du sciage. Non ! Ne touche
pas cette vomissure aux cuisses noires de la terre !
Va-t-en ! Tout mon corps pue et la vermine y grouille !
Tu cherches père et mère ici ? tu cherches un ami très cher ?
Ils sont là ! Les voici ! mais empeste sans fin leur chair !
Va-t-en ! de leurs mains, cuivres cambrés, ils s'épouillent.
Ô monceau qui de bas en haut n'est que souillure et loques,
Tiens ! vent fou, prends ce que tu veux, arrache-le !
En face, l'église : un putois, près du monceau sa volaille suffoque...
Ô ciel de suif, grand bien te fasse les chemises sabbatiques !
Et portez-les, vous tous, vous tous, pour l'honneur et la santé!
En l'an 5681, le 11 du mois de Tichré...
(...)
Ô pleurez et hurlez, convois d'après minuit,
Scellés par des caillots de sang pareils à des coiffes de cire,
Lâchez votre aboiement sur la nuit comme un torrent rouge,
Sans aucun signaux et sans mots,
ne dérangez pas le culte sacré,
ne réveillez pas les vigiles...
De tes seins écorchés
s'exhalent d'obscurs caniveaux comme une fumée
serpents maudits qui se tortillent sur leur ventre...
Autour de toi j'érige
une haute clôture,
Ô berceau dormant de l'ordure,
avec ces noirs enfants qui n'ont ni père ni mère,
- Je suis l'homme qui a connu la misère...
et que personne ici ne vienne
et que nul d'ici ne s'en aille...
Convoi contre convoi, battement de cymbales,
convoi sur le côté, crucifié de signaux,
Ô console-toi, monde, avec la sanglante illumination !
et moi comme une lanterne enfumée
j'irai
solitaire
réveiller les cadavres
sans bâton,
sans frapper du pied,
Ah levez-vous dans le monceau, tous les assassinés,
Ah, levez-vous afin de célébrer le culte !
...
***
Peretz Markish, poète ukrainien membre du comité antifasciste juif, est mort à 57 ans assassiné dans la prison de la Loubienka le 12 août 1952, pendant la Nuit des Poètes Assassinés.