Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...
Extraits :
Fratricide
Ta violence ne peut me dominer
mon frère Cain.
A chaque génération je reprendrai le combat
pour humaniser la sauvagerie de la forêt.
Ma mort assujettit et le mal et toi.
Tu as profané la jeunesse et la fraternité.
Notre mère pleure sur nos lits vides
car tu es allé dans les champs
répandre le sang et la chair de ta chair
répandre les ténèbres sur la clarté
répandre le meurtre sur la bonté.
Que je meure mille fois
tu seras toujours plus mort que moi
et le jour t'effacera.
Vivants nous bâtirons des monuments de vie.
L'odeur de ma mort emplit tes narines.
C'est le crépuscule, veille de vie et veille de joie.
Ecoute le chant du combat s'élever de nos foyers
chant de joie et de mort du lendemain.
Mais aujourd'hui, frère Cain,
la nuit n'appartient à personne ni le lopin de sol.
Ecoute battre le coeur pur de la terre.
La nuit est striée d'éclairs de fusils,
les bombes sèment ruines et graines
qui ne verdoient jamais
qui s'embrasent du rouge de la peur.
Les enfants font silence
et quand les enfants font silence
le silence est épouvante.
***
Millions de morts
Quand on labourera et ensemencera la terre morte
alors elle donnera des céréales noires
l'orge et le seigle garderont à jamais l'odeur
des millions de morts.
Sur la terre mortifiée
de jeunes printemps bleuiront
le soleil et le ciel, les fleuves et les bois
joueront avec les rayons et les ombres.
A l'oiseau il suffit d'un arbre
pour offrir au ciel ses trilles.
Mais toi tu es sur terre pour écrire
la chronique, le dit d'un désastre jamais vu.
Dans le silence d'une parole muette, écris :
voici ce que de sang-froid l'homme a fait à l'homme,
en l'an cinq mille sept cent trois,
le crime faisant de ce jour
la nuit de toutes les nuits.
Souviens-toi :
nous n'avons plus de mots
pour dire
ni l'affliction
ni la consolation
pour nous
pris dans les racines du malheur,
pour nous bercés par la douleur.
Inscrit en clair, précis et sec
ci-gît, est mort.
Sanctifie chaque victime,
mais refuse le leurre
que le peuple vivra.
A jamais tous les vivants du peuple
mourront de millions de morts.
Maudits de génération en génération et pour toute durée
si nous faisons fondre le deuil dans les feux de la joie.
Ne profane ni n'éveille le courroux
du moindre disparu.
Pour toute éternité dans le ciel clair
scintilleront des étoiles-couronnes de mort.
Et nous labourerons et ensemencerons,
et nous planterons et nous bâtirons,
mais maudits si nous abandonnons à l'oubli
le moindre disparu.
Inscrits - ils ne sont pas morts pour nous
mais nous sommes condamnés à vivre pour eux
à seule fin que dans nos veines
coule leur mort à l'effroi du monde.
***
Nous avons déjà perdu tous nos mots
Les bouches bégayantes se sont presque tues.
Le sac à héritage est vide. Où chercher
le bruissement béni de la promise
joie ? Les grimaces de nos enfants
sont une langue étrangère qui nous nargue.
Et dans l'obscurité nous inventons
des paroles-éclairs qui s'éteignent.
Et leur sens devient cendres.
Et leur sens devient cendres.
***
Seulement une voix est le seul livre disponible en français de Jacob Glatstein (1896 - 1971), poète yiddish membre du groupe In Zinkh. Instrospectionniste donc, rejetant les formes traditionnelles et stylisées du lyrisme et l'élégance de la métrique... On peut lire d'autres poèmes dans :
Rachel Ertel Dans la langue de personne : poésie yiddish de l'anéantissement (Editions du Seuil, 1993)
Charles Dobzinsky Anthologie de la poésie yiddish (Poésie/Gallimard, 2000)