Justin Delareux
Projectile Littéral
Projectile Littéral
(Extrait d'un travail en cours)
...
Nous pourrions aborder les ruines. Les repasser. Évoquer la
faille renversée de la chose qui nous dépasse. Joindre la mélancolie des temps
que nous percevons et l’émeute des sentiments séparés. Relier propositions
formelles et informelles. Émeute auditive. Tenter d’affronter dans une durée
déterminée l’inertie des corps spectateurs. Joindre bruit blanc et image
muette. Trop plein et si peu. L’abondance illusoire et les ruines à venir. Tout
cela se répète. En boucle. Dans le bruit artificielle des heures. Rendre compte
du bruit des yeux. À travers la mise en espace de signaux sonores. Automatisés.
Évoquer la possibilité de la perte, la saturation des mémoires. Nous pourrions nous répéter. Ne proposer que
tentatives au centre des fracas. La création passe par la destruction. Le temps
se défile. Matériel. Entropie. Nous pourrions écrire la musique avec des mots.
Le bruit du temps. Encore. Nous pourrions évoquer les strates par lesquelles
nous vous convoquerons. Relier les points. Choses à rythme toujours imprenables.
Figurants dépassés. Ce sont des nappes et des arêtes. Duchamp sur Debord sur
Godard sur Platon sur Bruce Lee sur Scelsi. Tenter la synthèse. Fuyante. C’est
une heure ou deux. Puis ces restes. Un livre une cassette un trou. Les moteurs
tournent et tout tourne autour des moteurs. Le jeu se poursuit. Nous avons trop connu la nuit pour en avoir
peur. C’est une réunion. Qu’elle soit mystique ou de crise, elle intervient au
sein d’une même économie. Frêle système, pâles bâtisses. Pise est encore
debout. Les grands faubourgs, patientent les chars. L’assaut est lancé toutes
les 3 minutes. L’assaut se répète et se noie. L’information est projetée. Le
projectile est sans forme et sans cible. L’être peut être seul et saoulé. Nous
allons partitionner les mémoires. Nous ne laisserons pas filer entre nos mains
ces quelques heures. Multiplions les adresses. Il s’agirait d’unifier. Nous
sommes quelconques. Singulièrement. Le
spectacle est intégré. Et nous mangeons de ce pain là.
*
Quelle est la forme de l'homme ? Quand ses uniformes battent
le pavé, quand les armes qui l'ont confisqué lui ôtent la voix ? Quelle est la
forme de l'homme lorsque son camouflage prend la couleur du sang, lorsque ses
bottes foulent les crânes ? Quelle est la forme de l'homme dès lors que
l'emporte sur lui le charme des discours, la droiture de la mort ?
*
Nous n'écrirons pas les fleurs. Pas les femmes pas les sexes
pas les restes. Pas les queues pas les tiges pas les mièvres. Fourberie
prétentieuse palais. Il n'y a de féminin pas plus d'un e à tout en accroche il
n'y a. La confusion des doutes c'est certain. Son inverse le poème le vaut
rien. Nous n'irons pas à la ligne nous ne laisserons pas de temps pas le temps.
Sur ses petites hauteurs la mouche se frotte et engloutit la merde. C'est
rigolo la poésie donne des ailes aussi des festivals aussi des amuses gueules.
Bien sur nous sommes au loin bien sûr nous sommes mauvais
joueurs, pas joueurs du tout, bien sûr nous sommes de mauvaise compagnie, bien
sûr jamais contents, bien sûr jamais certains, bien sûr jamais bien. Nous ne
sommes pas sur la photo nous ne souhaitons pas y être, le hasard à fait que
nous ne sommes pas sur la photo le hasard est bien fait le hasard veut, nous
oublions comment sourire, jusqu'à l'abolition du hasard, sa disposition.
*
L'extinction du silence. L'extinction, l’éviction. Silence
l’étouffement
La disparition du retrait.
*
(de nuit, au centre, en visite )
Décors tenu par des poutres improvisées éclairés par de
mauvaises lumières au nucléon à l'éclaté façade de faux disposée sur un plateau
lui même disposé publique figurant acteurs absents volontaires bénévoles pas au
courants la scène est tragique le feu emporte tout, même les restes.
*
Il y a une autre faune aux frontières des eaux sur la limite
des fleuves un autre courant d'autres univers mondes à la limite des terres par
dessus les noyés tout un autre temps au gré des courants au vent des crues rien
de semblable aux habitudes du monde sur la nappe fraîche courante au pied des
monts, il y a l'absence.
*
Définir ce que nous appelons expérience, redéfinir ce que
nous appelons poème et donc ce que nous crions trop facilement : vie. Rimbaud,
jeune encore, a déserté l'écriture par nécessité peut-être, par instinct, par
jeu, car nous pensons qu'il avait pressenti l'importance de l'expérience et
dans les chemins aventureux le dépassement de la poésie. Notre bagage est plein
et il nous faut aujourd'hui tant bien que mal poursuivre dans l'obscurité plate
du langage. Prendre part au sein de l’aberration gentille, normale,
démocratique, prendre part pour ne pas laisser faire, pour ne pas laisser
perdre ce qui nous meut. La démocratie n'a plus lieu à nos yeux, nos cœurs sont
piétinés jour après jour, alors nous nous demandons ce qu'à pu signifier pour
nos pères ces contemporains, ce qu'a pu signifier démocratisation, de l'art, et
de tout les champs possibles de l'expression. Nous avons perçu les leurres sous
ces propositions, l'opulence dans laquelle nous avons grandi a aujourd'hui le
goût amer de la mascarade. La fin du Vingtième siècle s'est épuisée dans une
orgie aveuglante d'un tout pour tous à tout moment porté par la voix dominante
du libéralisme cynique. Nous ne souhaitons ni les miettes ni le vulgaire de la
réussite que propose le monstre-société. Nous sommes affectés par ce que nous
percevons, ainsi nous concevons, séparés. Il faut à présent faire espace, se
reconnaître, créer les liaisons nécessaires entre les points, affiner et
affirmer la propagation d'un champs théorique et poétique nouveau, fendre les
systèmes par leurs centres, refuser, inventer. Nous préparons des projectiles.
Il y a la parodie des heures, le manque et ses murs, toute
la dramaturgie des jours, ses apparats, un grand ensemble qui ne nous concerne
pas. En contrebas une femme parle à son chien, comme les passions mortes, la
garniture de son ennui ou le réceptacle de sa folie. Son chien, mangeur de
pierre, passeur de temps. Plus loin les jardins, les cultures, plus loin
encore, plus bas, le cimetière de la ville, repos. Une route improvisée mène au
lac, un lac miroir, vert par le reflet des sapins, noir, son épaisse profondeur,
inconnue, noire. Les eaux sont lourdes, rien ne sert de s'y débattre, les eaux
sont impénétrables. Tourner tout autour tourner contourner les bords. Nous
évitons le sable artificiel posé là. Nous évitons les foules de baigneurs, nous
évitons tout ce qui se concentre au mètre carré, car la chose est pratique,
faite pour, le manque d'imagination, l'aménagement des vies. Contourner tourner
monter tout ce qui pente, vertige, tout ce qui chute, montagne, montante,
duvet, façade, réceptacle, passeur. Il y a le gouffre aux arbres. Une souris
morte habitée de mouches en reproduction. La traduction longue et lente des
sources, leur point de fuite, l'impossible chemin, où les reptiles susurrent,
où vibrent les herbes sèches. L'objectif est hors d'atteinte, on ne sait pas
trop, si c'est la vue, défectueuse, inventée, ou le corps, instable, à
surmonter. Dans une lettre virtuelle l'éditeur me dit qu'il n'aime pas le
silence, que le blanc de la page coûte trop cher. Fracas, enthousiasme,
fracassé. Jeunesse ; étouffée. Épique, comme la perception au monde, la
perception du monde, l'affect, la chair à vif, sur-figuré, brûlé ou brûlant,
baroque. Au comptoir du bouge les vieux bien acclimatés à l'histoire
contemporaine, parlent de drone, le vantent - le méritent. Au pied d'un verre,
au coin d'une oreille appareillée, le klaxon du camion-boucher sonne l'arrivée
des viandes. Sur une demi hauteur une demi maison à demi construite depuis un
demi-siècle, semblable, poursuit sa ruine, l'insulte de ses fondations. Les minéraux
sont recouverts de mousse. Les minéraux sont recouverts de mousse. Les minéraux
suivent le lit, surpassent les barrages, creusent des temps stagnants, coulent
à travers les peaux, transportent. Au petit matin la surface du lac est
recouverte d'une brume épaisse et ascendante, blanche. Dans le creux des
hauteurs, au cycle des jours, une épaisse poussière gazeuse monte et survole le
lac. Le lac, le matin rejette une épaisse brume blanche. Le lac projette vers
le ciel les nuages à venir. Le matin, le lac transforme ses eaux en vapeur, une
vapeur épaisse semblable à celle des nuages. Les eaux nous survolent. Puis
retombent. Ici les ardoises des toits ont pris la forme des roches. Avant
l'orage, la porte ouverte au bout de la rue laisse filer le parfum des salaisons.
Avant l'orage, des corps nerveux, des êtres de crise, électriques, paniques, se
frôlent, s'évitent, se frappent, s'écartent, à l'image des premiers hommes. Les
oiseaux, sobres interlocuteurs, prédicateurs de tempêtes, tournent dans
l’excitation et les cris, préparent le calme et le recul, l’abri. Il faut
construire des cabanes, oui. Mais le bois nous fait défaut, l'espace est
occupé. La poésie-l'inverse. L'inverse intense, sans compromission. L'averse
est proche, les électrons se frottent et la lumière fulgure tous ces décors
nerveux. Les premiers grondements tremblent, la terre tremble les fondations.
Le bois, lentement, chante le crépitement des mythes, des montagnes de sciure,
la fiction d'un éboulement, le dessin des ruines en construction. Pendant ce
temps, une plaque noire est creusée. Car le noir est originel, son creux monte
vers le blanc, creusé car le noir est déjà là. La lumière vient, les sillons se
croisent. Lac noir, vapeur blanche. Les figures se succèdent, sans dieu, sans
maître, le langage c'est de choir, l'isolement comme la fuite. Sur l'étendue
d'eau molle, les battements se succèdent, les roues, les ruées. Loin des gaz
comprimés, des ivresses et des fièvres. Loin de la fatigue source de
l'écRoulement des corps, sans ancre, que des signes vagues, des actes muets.
...
***
Justin Delareux est un être humain, avant tout. il a une famille, il se promène, il écrit, dessine, grave, peint, photographie, édite la revue PLI, compose...en un mot : il acte. On peut retrouver son travail sur le site Armée Noire, dans le numéro 17 de la revue FUSEES et sur son site ici.