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Sergueï Essénine "Journal d'un poète"

Sergueï Essénine
Journal d'un poète
(La Différence, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...


Extraits :

J'en ai assez du pays natal
à me languir d'étendues de seigle,
je vais quitter ma chaumière,
me faire vagabond et voleur.

J'irai dans l'éclat pommelé du jour
chercher quelque misérable toit.
Et de la tige de sa botte l'ami cher
affûtera son couteau contre moi.

Soleil et printemps dans les prés
inonderont la route jaune,
mais celle dont je chéris le nom
me claquera la porte au nez.

De retour à la maison du père
consolé par la joie d'autrui,
en une verte soirée, sous la fenêtre
à ma manche je me pendrai.

Lors, les chatons gris à la haie
baisseront la tête un peu plus.
Tandis que sans eau lustrale
on m'enterrera au cri d'un chien.

Cependant que la lune glissera, glissera...
plongeant ses pales dans les lacs
et toujours ma Rus', à la barrière
de danser, vivre et pleurer à sa manière.

(1916)

***

Ne m'en veuillez pas, c'est ainsi !
Je ne barguignerai pas avec les mots :
elle est alourdie, affaissée,
ma jolie tête dorée.

Ne plus aimer ni la ville, ni mon village
comment le souffrirai-je ?
Je largue tout. Me laisse pousser la barbe.
Et je vais boulinguer en Russie.

J'oublierai livres et poèmes,
J'irai le ballot sur l'épaule
- au noceur dans la steppe, on le sait,
le vent fait fête comme à nul autre.

Je puerai le raifort et l'oignon.
Et troublant la torpeur du soir
me moucherai bruyamment dans les doigts.
Partout je ferai l'idiot.

Je ne réclame d'autre bonheur
que de me perdre dans le blizzard ;
Car sans ces extravagancees
je ne puis vivre sur terre.

(1922)

***

[Moscou des Cabarets]

Désormais oui ! C'est décidé :
Je quitte à jamais mes champs bien-aimés.
Plus ne bruissera au-dessus de ma tête
mon peuplier au feuillage ailé.

Sans moi la raison basse va se recroqueviller,
mon vieux cabot, lui, a depuis longtemps crevé.
Par les rues tortueuses de Moscou
à mourir, vois-tu, Dieu m'a condamné.

Je l'aime, cette ville aux grands ormes
squameuse, décrépie, qu'importe !
l'Asie d'or ensommeillée
sur ses coupoles s'est assoupie.

Et la nuit quand brille la lune - ah !
quand elle brille... et diable comment !
je vais, tête basse, par les ruelles
jusqu'à mon troquet familier.

Dans ce sinistre bouge - vacarme et chahut,
la nuit entière jusqu'à l'aube
je lis mes vers aux prostituées
et me cuite avec les bandits.

Mon coeur bat la chamade
et je lance à la cantonade :
"Comme vous, je suis un homme fini,
revenir au passé, inutile d'y songer."

Sans moi la maison basse va se recroqueviller,
mon vieux cabot, lui, a depuis longtemps crevé.
Par les ruelles tortueuses de Moscou
à mourir, vois-tu, Dieu m'a condamné.

(1922)

***


De Sergueï Essénine, qu'on ne présente plus, on peut/doit tout lire... Outre cette anthologie (une deuxième édition revue mais malheureusement mal corrigée puisque sa bibliographie n'est pas actualisée...), on peut trouver ses livres traduits en français chez CircéAliladesHarpo&L'Age d'Homme... hop !