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F.J. Ossang "Venezia Central" + "Hiver sur les continents cernés"

F.J. Ossang
Hiver sur les continents cernés
(Le Feu Sacré, 2012)
Venezia Central
(Le Castor Astral, 2015)

Disponibles ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies... et sur les sites des éditeurs ici et




Extrait :

SOLEIL TRAHI
version polaire en faveur de la guérison d'un Indien du Nord-Est


Vous me causez de la pleine lune, et je ne sais que dire.

Oh, je vois où vous aimeriez en venir, mais un plissement d'ailes
me chiffonne l'intérieur.
Comme vous autre tous, j'ai marché dans la Nuit,
Sous la voûte étoilée, dans sa tourbe, et même quand elle fut aspirée
dans son orbe en métal blanc ;
ce furent parmi les plus distinguées émotions qu'il m'ait été donné
de connaître.
Pourtant, je n'ai jamais réussi à dissoudre le fond de soupçon qui
marine dans mon ventre depuis que je suis sorti d'un autre ventre,
pour tout de suite entrer dans la Nuit.

C'était un sept août, il était vers 19 heures 30.
Certains diront que c'est le souvenir des fers,
d'autres que la Nuit, et plus particulièrement quand la lune est
pleine, c'est dégueulasse et plein de sorcières.
Quoiqu'il en soit, j'angoisse toujours quand la nuit tombe.
Mais très vite, la Nuit m'excite, elle m'emporte vers la ronde
des filles et de l'alcool, et alors je commence à devenir fou,
et j'adore.
Comme ravi d'être soustrait aux ramures tentaculaires du sommeil.
J'ai toujours eu peur de m'endormir.
Pas que je sois insomniaque, non : impossible de me coucher.
Je déteste la Nuit, et pourtant j'y tourne.
Je revisite mes amis disparus dans l'amour de ses équations,
et ce soir où tous ils s'approchent, les plus jeunes,
sombres ou clairs ancêtres, j'interroge la Reine des Marées :
quand détrôneras-tu le Dernier Soleil, désormais que tous l'ont trahi,
quand viendra l'heure où nous tomberons avec eux !
Si fait je suis - nous sommes, parmi tes monstres,
apprends-moi, apprends-nous à conquérir les peuples de lumière disparus !

Vous me causez de la pleine lune, et je ne sais que dire.
Je ne combine rien, mais j'ai des ambitions.
L'âme est vague, pas de quoi en tirer gloire.
Mais j'ai besoin que guérisse un Indien du Nord-Est.
Je suis du genre flou,
l'apparition découronnée qui oscille entre l'accent des dracs,
la rage d'en découdre avec le vide, le goût de mourir vite, l'addiction
aux Gestes qui échappent, et ce besoin de tenir jusqu'au bout
que partagent les assassins classiques.
Grande passion déçue, le vécu déraille, on imagine le reste,
à peine une texture surgie de la chair, qui vous attire vers
en bas sans qu'on puisse descendre.
De la tête fus toujours roide. Tendre de l'âme. Et cassé
dans le corps.
certains disent que c'est le souvenir des fers,
d'autres que c'est le canard du doute - j'ai des lèvres de vermouth
La lune ne vaut qu'en ce qu'elle figure l'emblème
magnétique et circulatoire
qui tourne tourne
tout autour de l'indicible
blancheur où tout se noie.
Le Nord, le jour, le Soleil le soir, et les Trahis.
Il est tard, je n'irai pas dormir, il n'y a rien à faire dans le noir,
sauf une fille dans l'ombre, la glace dans l'éthyle, un peu
de neige sous les paupières, et la force de traduire la destination
polaire
d'un grand ami secret,
l'Indien du Nord-Est.
Il faut qu'il guérisse.
Le ciel est noir, sans cristaux.
La terre est morne, sans promesse.

Nous sommes tristes.
Sans personne sauf l'indien du Nord-Est.
Je ne dirai pas son nom de peur qu'on le dénonce,
comme cet autre, lors d'une autre pleine lune où comme ce soir
les sorcières coassent sans un fauve abîmé qui les inspire, non,
sans rien qui puisse les injecter au cul des enfers.
La Question reste de tenir le cap jusqu'au virage des courants.
Plus loin les dieux se déportent vers nous.
Ils reviennent, même s'il est tard dans le ciel, que Lief est partie,
que la Guerrière martèle son astre en blanc métal froid,
qu'on s'approche du 29 du mois, que Charpin n'est plus, qu'on est seul,
que les dieux se cachent dans les feuillages du druide,
que l'air s'embrouille sans flammes, que des filles dorment
sans moi, qu'il faut être vite, vite !
Le point de lumière où la vitesse d'impact et l'objet de mire
défont l'équation confuse qui nous fabrique, et nous éjecte
dans l'oeil rebelle de Quetzalcoatl.
Serpent à plume contre dévotion christique et Cap contre Cathédrale,
c'est imprécis mais plus divin des programmes si fait est que Virgem
nous sauve, relève notre front au-dessus des abîmes, renvoie
les sorcières au pajot et nous essuie le front pour de neige l'oindre.
Ah, je ris, je ris de nous voir royaux en ces temps serviles !
L'Indien file file au Nord-Est
et notre âme fonce au Centre, elle revient au monde,
elle divague et se découronne, mais les chiennes faillent comme saillies
- la pleine lune se dilue comme assouvies à notre endroit jadis
furent les Dames Qui Nous Maudissent.
la guérison de l'Indien me réveille.
Je vois qui je fus.
Je reviens à la gloire.
Ah, je ris, je ris de nous voir misérables en si riches temps !

Car les temps sont riches, ne vous déplaise,
on vise juste, on frappe fort, on rate tout.
C'est inutile, disent-elles,
c'est insensé, ils appuient,
c'est anormal, je récidive,
mais c'est ainsi : libres nous fûmes, otages nous sommes,
c'est absurde, c'est bien, c'est mal, c'est fort, c'est un sort
à défaut d'être un destin, mais c'est ennuyeux -
I wanted to be a king.
L'Indien fut-il prince de sang ? le monde le fila Nord-Est.
Je fus chien sans roi. Le monde me refila son règne de chiens.
Mais au fond, c'est nous qu'on s'en sort.

On crut qu'on avait tout faux. L'Indien manqua d'y rester. Les jours
furent sombres. La lune incertaine. Les sorcières ne savaient plus
comment devenir salopes. Les filles dormaient sans nous, l'alcool
ne valait plus l'abîme, on ne voulait plus se coucher pour les soins
d'une poudre étant donné qu'on était,
grand amour définitif Rrose Sélavy,
toutes des chiennes, même sans plus rien à répudier
et l'Indien qui file au Nord-Est !

Vrai de vrai de vrai, je me répète, mis comment dire sinon que c'est
fini quand on se honnit à pas dire juste quand on voudrait pur.
Des amantes attendent au seuil orange des âmes.
Que celles-ci-celles ou là fussent vagues, réelles ou vraies,
tout est faux : que l'Indien ait risqué de mourir au Nord-Est
puisqu'il y naquit,
que je fus serve ou roi,
puisque je ne sus que mimer rois et rebelles quand ils faussent
les défis en jeu.

L'Indien reste proche au-delà de cette nuit de sabbat,
c'est tout ce qui compte : il rallie sa meute d'enfants trahis
quand le soleil tombe, et vous qui vous crûtes les favoris exclusifs
de sorcières tournées en poufiasses, l'heure est venue de crever
en bas d'où nous ne voulûmes descendre par crainte d'ascendre
tel maudit ancêtre qui nous fit si bas en si haute époque -
ou l'inverse, les Dieux diront !

Les maldits n'ont pas décimé la meute indienne,
et cela seul compte pour nous quand on considère au terme de la Nuit
noire et sans lune où j'écivis mon aversion polaire
que nous sommes les loups qui fondront sur le chant des hyènes
dont les chiens s'abreuvent quand la lune se meut en satellite
d'autres cieux, d'autres cieux, dis-je,
qui n'attendent ni vous ni moi, mais l'Indien, l'Indien du Nord-Est
que tant de soleils trahis faillirent livrer à la mort.
Nous sommes seuls, la meute est lointaine, l'écho vient de s'éteindre,
mais il reste l'essentiel : le fond de ma prière
indicible, la vision des rois perdus à l'Antirègne,
et surtout la dépouille qu'en la dépeçant à tort et mal telles sorcières
se virent éblouies bien que nulle d'elles n'en naquît.

C'est même idiome, tout en rien sans version polaire qui nous cause,
sinon qu'il n'existe pas deux pôles, mais au moins quatre,
sinon Un Seul
dont ce Nord-Est où l'Indien manqua de nous perdre avec lui.

Le reste est clair et simple comme nous espérons l'être plus tard, bien plus tard,
quand enfin nous pourrons dire la vérité sans trahir,
tous nos jeunes et clairs ancêtres parleront dans nos bouches
aux langues de lumière, quand l'Est et le Nord dévisagent la terre
d'où l'on vient et qu'on veut qu'on se rappelle
tant c'est du Sud qu'on vient, de Sud, de l'extrême Sud,
d'une terre enfermée dans la terre,
d'une terre enfermée dans la Nuit.

(ce texte a paru en plaquette sous le titre version polaire aux éditions Derrière la Salle de Bains en 1996)

***


***

(F.J. Ossang en 1976. auteur inconnu)

Le long poème Venezia central donne son titre à ce qui constitue en fait une anthologie de poèmes écrits entre 1982 et 2005 déjà publiés sous forme de petits livres devenus introuvables (chez Warvilliers, La Notonecte ou encore Derrière la Salle de Bains). Impossible de ne pas rapporter cette longue traversée de l'oeuvre poétique rare et majeure de F.J. Ossang à Hiver sur les continents cernés, une autre anthologie indispensable (comme une possible genèse de l'oeuvre ?) publiée par Le Feu Sacré en 2012, petit pavé noir regroupant les textes de F.J. Ossang parus dans la revue CEE qu'il dirigea entre 1977 et 1979. L'introduction "A toute vitesse", visible sur le site de l'éditeur, est par ailleurs le meilleur texte sur l'élan qui la porte depuis tout ce temps... 
Ce qui nous évitera d'interminables blah blah, car il est très difficile de résumer en quelques mots l'importance que revêt pour nous l'oeuvre de F.J. Ossang, poète, cinéaste (l'ensemble de son oeuvre cinématographique a été publiée en DVD chez Potemkine) et musicien (MKB Fraction Provisoire, Baader Meinhof Wagen) auquel ce blog doit rien moins (mais surtout tellement plus) que son nom (il n'aura pas échappé à quelques avertis que Cantos Propaganda est en effet le titre des trois "intermèdes" dans l'album Hotel du Labrador de MKB Fraction Provisoire qui réveillera/saccagera à jamais notre toute jeune adolescence)... Oeuvre vite, globale, profondément insurrectionnelle, sans concessions ni compromissions où dansent les fantômes de Crevel, Cravan, Artaud, Larronde, Pound, Pélieu, Burroughs, de la revenance indienne, toute la poésie TXT punk, les situs, l'expressionnisme, l'argentique, le cinéma muet, DADA, le rock'n'roll, la cadence sourde et rampante des musiques industrielles, les paysages infinis depuis l'Argentine jusqu'à la Russie, De la Destruction Pure enfin... "L'homme nouveau doit avoir le courage d'être nouveau" (Raoul Haussmann) acté.

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Quelques liens :
Euthanasie Records (Rééditions des albums de MKB Fraction Provisoire)
Discogs (Discographie de F.J Ossang)
Potemkine (Editions des films de F.J. Ossang)
Mercure Insolent (Armand Colin, 2013. Ecrits sur le cinéma de F.J. Ossang...)
W.S. Burroughs vs. formule mort (Jean-Michel Place, 2007. Un des meilleurs essais sur Burroughs....)
Le feu sacré (Quelques entretiens avec F.J. Ossang)

Et maintenant, cherchez !