Réédition disponible dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici...
Extrait :
Les nouveaux riches
Les voilà ceux qui ne rendent pas l'argent ou qui ne le rendront qu'avec leurs tripes quand on les aura crevé sans douceur, dénouement probable dans un délai qui ne peut plus être bien long et que j'abrégerais avec une extrême joie, si c'était en mon pouvoir. Ils sont vraiment affreux.
Les anciens riches, si formellement maudits dans l'Evangile, ne me plaisaient guère. J'ai fait tout un livre pour exhaler mon horreur de ces criminels dont c'est la fonction sociale de manger les pauvres et de les souiller en les dévorant. Je me suis même reproché de n'avoir pas été assez loin dans l'expression de mes sentiments.
Cependant ils avaient pour eux le bénéfice d'une sorte de prescription. Quelques-uns pouvaient faire valoir on ne sait quels services rendus autrefois par des ancêtres profondément oubliés qu'une supérieure justice récompensait ainsi dans leurs descendants inutiles.
D'autres, dénués d'ancêtres recommandables et dont l'opulence avait une source aussi cachée que celle du Nil, pouvaient invoquer la sagesse des théoriciens illustres qui ont démontré depuis longtemps la nécessité des grandes fortunes pour l'équilibre et le décor de la société. D'autres enfin, dont la richesse était d'origine franchement infâme, avaient la ressource de mettre en avant la sublimité de leurs intentions et le devoir qu'ils s'étaient prescrit charitablement de réparer les crimes de leurs pères en comblant les miséreux d'un centième de leur superflu. Et iln'y aurait eu rien à répondre, le code civil admiré de tous les notaires et le zèle béni de tous les gendarmes opposant à l'indignation des pauvres une insurmontable barrière.
Les nouveaux riches ont une autre allure. Ne pouvant se recommander de personne en bien ou en mal, ils se recommandent d'eux-mêmes avec une cynique et merveilleuse audace. Ils ne se déclarent pas positivement des voleurs et des assassins de pauvres, mais il ne leur déplaît pas qu'on le pense et qu'on admire leur habileté.
Songez donc ! Faire fortune lorsque la ruine menace tout le monde, utiliser les catastrophes en les aggravant, féconder la désolation, fertiliser le désespoir, être les mouches prospères et la ribotante vermine des morts, après avoir été la dernière torture des agonisants ! Ne serait-ce pas le comble de la bétise de négliger l'occasion du sommeil inexplicable de la guillotine ?
Accaparer les subsistances, raréfier ou sophistiquer la nourriture de tout un peuple pour en décupler la valeur sont des pratiques traditionnelles que la potence rémunérait autrefois et que récompensent aujourd'hui l'admiration et l'envie.
Il y a les grands et les petits profiteurs et c'est une question de savoir quels sont les plus hideux. Les grands assassinent les pauvres de très loin, d'une manière générale, à l'abri de telle ou telle combinaison administrative toujours mystérieuse. Les petits, ceux qu'on nomme les détaillants, égorgillent chaque jour les indigents qui leur tombent nécessairement sous la main. Admirablement concertés entre eux, ils établissent les prix qu'il veulent, réalisant des gains de 3 ou 400 pour cent. C'est la guerre ! disent-ils avec un sourire et ils triomphent dans leur turpitude, sachant très bien qu'aucune sanction n'interviendra pour désobliger les électeurs.
Ceux-là entendent bien arriver aussi à la fortune, mais comme ils sont, à l'instar des spéculateurs de haut-vol, aussi bêtes que méchants, les uns et les autres ne songent pas à se demander quel pourra bien être le lendemain de leur ignoble victoire. Ils oublient qu'il y a, sur notre front de guerre, un million d'hommes habitués depuis trois ans à tuer des hommes, en s'exposant eux-mêmes à être tués, habitués, par conséquent, à compter la vie humaine pour peu de chose. Ils reviendront un jour, imptatients de régler les comptes arriérés. Que diront-ils au spectacle de l'inondation des canailles et de quel oeil pourront-ils voir la prospérité diabolique des mercantis qui auront affamé, torturé leurs femmes et leurs enfants, pendant qu'ils enduraient pour la défense commune les pires horreurs ?
Il se pourrait alors que les joyeux et souriants profiteurs ne trouvassent pas assez de cavernes pour se dérober à la fureur de ces déchaînés pour qui ce serait un délice paradisiaque de les éventrer. On ne saurait trop recommander aux intéressés la méditation de cet avenir.
Bourg-la-Reine, 16 jullet-15 octobre 1917.
***
Pas tendre, le Léon Bloy... qui pourrait aujourd'hui encore en redonner à nos cochons d'indignés. Ah au fait : le premier qui vient nous dire que Léon Bloy, c'est une sorte de pamphlétaire anarchiste de droite, on lui refait la gueule à coup de bottes. Capisce ?