Varlam Chalamov
Cahiers de la Kolyma
(Maurice Nadeau, 1991)
Cahiers de la Kolyma
(Maurice Nadeau, 1991)
Extraits :
Longtemps j'ai cassé des pierres,
Pas avec un ïambe en courroux mais une rivelaine,
Je vivais, compagnon de l'infamie et du crime
Et de l'éternelle fête de la vérité.
Non pas comme l'âme dans sa lyre chère,
Je m'enfuirai par mon corps en pourrissement
Dans un logement sans feu,
Sur la neige brûlante.
Et sur ce corps immortel
Que l'hiver a pris dans ses bras,
La tempête de neige se déchaîne,
Devenue folle déjà.
Une hystérique de village
Qui n'arrive pas à se comprendre,
Ici on enterre d'abord l'âme,
Le corps est sous surveillance.
Et ma vieille compagne
Ne respecte pas mon cadavre,
Elle chante et danse, rafale
Froide, danse et chante sans fin.
Longtemps j'ai cassé des pierres,
Pas avec un ïambe en courroux mais une rivelaine,
Je vivais, compagnon de l'infamie et du crime
Et de l'éternelle fête de la vérité.
Non pas comme l'âme dans sa lyre chère,
Je m'enfuirai par mon corps en pourrissement
Dans un logement sans feu,
Sur la neige brûlante.
Et sur ce corps immortel
Que l'hiver a pris dans ses bras,
La tempête de neige se déchaîne,
Devenue folle déjà.
Une hystérique de village
Qui n'arrive pas à se comprendre,
Ici on enterre d'abord l'âme,
Le corps est sous surveillance.
Et ma vieille compagne
Ne respecte pas mon cadavre,
Elle chante et danse, rafale
Froide, danse et chante sans fin.
***
Dans une taille oubliée
Je jette des débris de charbon.
Ici c'est un esprit de mort,
Ici on respire la mort,
La terre elle-même suffoque.
Les derniers boisages pourrissent,
Un ciel défunt s'écroule,
Tombant en poussière et cendre,
Je veux rêver jusqu'au bout.
Je veux être plus jeune que toi
Tandis que je respire toujours
Âme peau de chagrin,
Âme rendue et lasse.
***
Nous n'ouvrirons pas la porte au chant,
Aujourd'hui il n'est plus besoin de chant.
Il ne mesure plus le chagrin
Et nous nous enivrons sans vin.
Telle une pierre se couchera sur mon coeur
La voix grave d'un choeur.
Toute la lenteur russe d'une chanson : pleur,
Gémissement et cri...
***
On dit que nous labourons peu profond,
Ne faisant qu'un faux pas et glissant.
Mais sur notre sol natal
Impossible de labourer plus profond.
C'est que nous retournons un cimetière,
Nous ameublissons la couche d'en haut,
Et nous avons peur de heurter des os
Qui sont à peine recouverts de terre.
***
Tout se tait - bêtes et oiseaux,
Le printemps même
Comme s'il sortait de l'hôpital
Est si blême.
Dans les haillons d'herbe
De l'an passé qui ont jauni,
Il s'est traîné en
Linge de corps tout déchiré.
De ses gencives enflées
Du sang exsude.
Combien de printemps jusqu'ici ?
Et combien en reste-t-il ?
***
Je ne cherchais pas les secrets des hommes
Comme un trappeur.
Ce monde changeant et fortuit
Je ne l'avais pas oublié.
La chaleur du rayonnement des hommes
Au profond de la forêt,
Les courants de fond
De leur âme vivante.
Et bien d'autres choses
Qu'on ne peut dire,
Se levaient terribles et nues
De tous les coins.
1963
Traduit du russe par Christian Mouze.
***
Varlam Chalamov (1907-1982) a traversé le siècle des purges.
Tout ce qu'on doit lire et savoir sur lui ici