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Ilya Ehrenbourg & Vassili Grossman "Le Livre Noir"

Ilya Ehrenbourg & Vassili Grossman
Le Livre Noir
(Solin/Actes Sud, 1995)

Un livre in(dis)pensable, disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...



Extrait :

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ODESSA

1

  Il est, non loin d'Odessa, une vaste plaine qui s'étend, légèrement bosselée de rares collines et parsemée de quelques morceaux verdoyants de forêt artificielle. C'est la steppe des bords de la mer Noire qui s'étire entre la mer, les limans et le fleuve Bug.
  Tout, dans ces régions, peut être embrassé du regard et un homme traqué par la mort, personnifiée par un bourreau roumain ou allemand, peut difficilement s'y cacher.
  En survolant la steppe en avion, on peut voir d'en haut des fermes, des sovkhozes, des petites bourgades et des villages abandonnés comme Daliki, Sortirovotchnaïa, Soukié Balki et, plus loin, en allant vers le Bug, Bériozovka, Akmétechetka, Domanievka et Bogdanovka.
  Ces noms, jadis, inspiraient la paix et n'inspiraient aucun effroi à personne tandis qu'aujourd'hui on ne peut plus les prononcer paisiblement, chacun d'entre eux étant lié au crime, à la souffrance et à la torture.
  Il y avait ici des camps de la mort : on torturait, on mettait en pièces, on fracassait des têtes d'enfants, on brûlait vifs des gens à qui la souffrance, l'épouvante et les insupportables tortures faisaient perdre la raison.
Sur des centaines de milliers de personnes, seules quelques dizaines sont restées en vie. Et ce sont elles qui nous ont révélé les détails de cet abominable massacre.
  Dans tous les récits oraux et écrits des témoins qui ont survécu, dans leurs lettres et leurs mémoires, nous rencontrons toujours cette même affirmation : dépeindre ce qu'ils ont vécu est au-dessus de leurs forces.
  "Il faudrait disposer de pinceau de l'artiste pour peindre l'effrayante scène qui se tint à Domanievka, raconte Elisatbeth Pikarmer, une habitante d'Odessa. Les plus grands scientifiques et les meilleurs travailleurs y périrent les uns après les autres. le délire de ces gens rendus fous, l'expression de leurs visages et de leurs yeux ont ébranlé les plus résistants. Un jour, là, sur le fumier, Mania Tkatch, qui avait vingt ans, a accouché, au milieu des cadavres. Elle mourut le soir même."
  V. Y. Rabinovitch, rédacteur technique dans une maison d'édition d'Odessa, écrit : "On pourrait en écrire long, très long, mais je ne suis pas écrivain et je n'en ai pas non plus la force physique. Car dès que j'écris, je revois tout. Ils n'existent pas, ce papier et cette plume qui permettraient de tout décrire. L'homme qui pourrait peindre le tableau de ces souffrances inhumaines que nous avons endurées, nous, les Soviétiques, n'existe pas et n'existera jamais."
  Mais, ils ne peuvent garder le silence, ils écrivent, et il n'y a rien à ajouter à ce qu'ils nous ont révélé.

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