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Régis Nivelle Gilles Venier...

Régis Nivelle - Paliers
(Le Manuscrit, 2009)


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Extrait :

… qui est caché. Passé l'incrédulité, je veux dire l’attention ahurie prêtée au déroulement sauvage, à la zébrure d’une faille scindant soudainement l'envers, il fallut du ciel alors se convaincre ; même si ce ne fut qu'un fantasme de ciel.
A l'orée, la sensation qu’on y appelait, s’appelait, qu'on se répondait, mais se surveillait aussi en locuteurs muets & aveugles, fut une épreuve singulière. Or plus loin, au-delà des claquements déchirés de bâches, sacs & autres loques en plastique qui entravaient les pieds de bruyère, les chants semblaient des milliers, & l'ampleur de leurs souffles était telle qu'il fallut jouer des coudes dans l'inextricable pour pouvoir rejoindre l’intimité d'une odeur de clairière qui aboyait l’amour. L'odeur, chargée de réminiscences, était exhalée en fait par une créature faisant purement corps avec l'onde sauvage. Une force d'attraction qui en émanait devait inéluctablement provoquer le contact. Mais la rencontre opérée, l'idée même de la parole aussitôt flagella, cervelle gélifiée. Là, tout s'arrêta. Et tout le monde alors put voir mon ridicule prototype terrestre secoué par les spasmes du rêve. 

Il en résulta l'accélération d'une acuité sensorielle que ce défilement dévoilait de la pensée l'unité je ; mélopée remplie des deux laits. Ce n'était cependant pas une projection, mais bien un corps véritable qu'une bouche de pensée restitua aux forces primitives; qu'une bouche primitive rendit à la mucine & aux glaires de toutes ces lianes organiques déchirées par la densité même des sens. De la matrice, la houle était vivante ! 

VERS LE CHANT & SES LIGNES FASCINANTE MÉLOPÉE TOUTES LES DROITES & LES COURBES D’UN PUR DÉSERT CELLE QUI A VU MONTE L’IVRE EST LA CADENASSE DANS LA CHAIR L’ETRE & SA FIN ADMETTRE LE FOUET LA NUIT QUAND VERS LE CORPS S’AJUSTENT LES GAZES BLEUES DES JOIES LE CORPS EST PRIS PAR LES YEUX & LA BOUCHE L’ODEUR DES VIDES LUI TIENT LIEU D’AURORES LA FIN EST COMMENCÉE C’EST PAR LÀ QUE CA COMMENCE LE CORPS EXHALE VEUT PARLER PRÉCIPITER LA FUITE LA MÉMOIRE LES LIGNES SONT DANS L’OEIL LES PARFUMS EN CONSCIENCE DES PORES PROPHÉTIE PAR CE PERTUIS QU’IL FAUT FRANCHIR L’ODEUR DE LA NUIT EST D’UNE SAUVAGERIE QUE LES LIGNENT ADMETTENT SANS ILLUSION DÉJÀ UNE MÉMOIRE MAIS TOUJOURS SANS REVENIR ÇA VEUT PARLER ÇA PARLE PLUS VITE QUE LES MOTS FAUT L’ENTENDRE VOIR CET IMPOSSIBLE LIEU CA RESPIRE POURTANT

LE CORPS EST COUPE PAR L’ATTENTE MAIS RESPIRE LA HÂTE DE COMMENCER LE SOUFFLE MENACE D’ALLER PLUS VITE A SENTIR L’IMMINENTE RUPTURE N’ATTENDRE EST UNE URGENCE D’ÉTHER SE DÉPLACER PLUS VITE QUE LES MOTS ALLER AU PLUS VITE DANS LE SANG & S’EXTRAIRE DE LA RÉALITÉ SANS RECONNAISSANCE S’ENFONCER LOIN DANS SES COULOIRS ÉPAIS MONTER AUX ETAGES LES PLUS SOMBRES PRENDRE UNE CAMBUSE & EN TAPISSER LES MURS DE SOLITUDE EN PAGES OCRES QUELLE HISTOIRE FIT DU CORPS CETTE CABINE AU HUBLOT EMBUE ; MÉCHANTE MÉCANIQUE QU’A NOUÉE & LOUE L’IDÉE ÉPERDUE D'UN CIEL BLANC À LA PUISSANCE DU CADRE ?

… L'obscur & la lumière nouaient les surfaces (c'est flottant éternel dans l'encre des odeurs)
Dont les nymphes abritaient la clef de Pan. 

Nous étions invisibles ! Rien n'a changé notez bien
Et pourtant l'aire de l’illusion
(ce que jamais n'ignora le clavier de Stockhausen où n'opérait même plus l’extase lysergique de Hofmann)
Continuait à faire des ravages 

L'inconscient que l'odeur seule aboya
Fallut le dessiner (rien ne doit être combattu à la lettre)
L'oiseau au bec de nuit & de jour
Ce phallus bourré de neige & de gravier
Mit en déroute les hordes de symbolistes

Le trou à la gorge des chiens était tentant 

Je me souviens de cette histoire
(pauvres crypto mnésiques)
Dont des images sauce vaudou
Croyaient renouveler lalangue
Qui cogne le trou duplique infiniment
Le trou qui n'a rien de sorcier (mais vous n'y êtes pour rien non plus)
Le fascia de houle respire l'écho
Qu'un nœud lie & révèle (c'est ici que ça flambe)
Que l'on me nomme (seul le sujet différera)
Vous verrez toujours mes seins pris dans les cordes
Et plus bas la clef d'un langage
Qu'une pierre aux plis d'ailes protège

Que l'on m’appelle rabouté
Le refoulé abouché au temps & à l'espace
L'entre y déplace le sens d'au moins quatre figures
Dont les volutes sont faites de matière 
Le subtil seul consistant harponné
Par le fil du temps allaite l'existence 

Du carnage de l'instant
Voici l'ailleurs 

Mais ne m'endormez pas dit-elle
Sous vos simulacres d'assassinats !

C’est moi l'impuissance
Qui noue le grave & le léger au toucher des réapparitions 

- Où était-elle alors?
- Hors d'elle. 

Coupé, lui en tous cas avançait dans la vase, poursuivi par une absence, & il n'y eut rien alors qui ne put pourtant l'empêcher de voler. Seul le lieu désorganise le temps.
Il aura daigné se jeter puis tomber pour marcher droit. Quel culot ! Se jeter & tomber mort pour décidément filer droit dans le cul des mots, la vexation & les sermons, parce que voulant tomber & s'extraire vivant des préceptes illusoires que fomente la conscience. Pourquoi les odeurs d'acide n'enivrèrent pas le cœur du pauvre bougre au motif d'un accomplissement, & pour quelle raison, entravé, bataillant contre cette moelle qui l'embourbait & allait l'engloutir, il se dit que c'était une belle bagarre ? 

Il dit : « Suis né trop vite à chercher le sens, la bouche sombre du sens ».
Seule la fonction de percement laissa apparaître les fils qui suspendaient le tout.
Mais sa parole s'encode par prudence précisément là où ça schlingue & ça ne danse plus. À cet endroit, L'utopie du chien métromane rêvait évidement d’une fureur utérine. Seulement voilà, on a beau s'échiner à lui graisser les lèvres, ça n'arrive pas. Et ce qui n'arrive pas est tapi sous la crasse de l'organisation & de la production.
Au-dessus, l'eau forte. Le ciel lui jalousait la coupellation des matières.
Il ne restera dans la pâte d'os cuite, nul argent, nul sequin.
Dans son avancée à la machette, explosaient le motif & le mobile, la tentation d'une métonymie. Finalement, tout ça oscillait. Entre le rythme – en place du temps –, le lieu sans mots & la recherche du lieu.
Finalement, le contre-chant chiffré était bien secondaire. Il put bien vouloir s'y coller, il ne se ventousait qu'à lui-même. L'inaudible impétrant n’était plus qu'une tête de marmite où viraient à l'aigre sa rhétorique & ses prières. 

L'or rouge est serti dans les deux gestes ; rites génésiques. Or, le talisman ici, n’est autre qu’un satellite encore en rotation autour de l'idée. L'Orichalque y gèle toute représentation. Sommes accomplis. Davantage encore que ce que nous laisse supposer la réalité.

Il suffit de vidanger la compassion à peine visible sur les visages, pour que crève & se soulage alors la vessie du mensonge. On s'acharne à croire au vide qu'une fois tombé, abruti par les mots, les stéréotypes. 
Donc, après avoir donné & pris, enduite de terre rouge, elle s'empara sans attendre ce qu'à la danse il revenait à tracer & à suer dans l'opacité du tableau où elle ne se noya, puisque désormais elle y chevauche les poissons, & qu'elle boit leur semence le regard tourné vers l'unité, ce qui n'appartient qu'aux amibes. 


Souvenir du voyage
Flottant, l'œil voyait le sac triste & marqué d'un
Corps qui bredouillait par le bas
Tu n'avais de cesse de voir & de moins
En moins rêver
Tes yeux étaient ouverts
Mais ton regard n'était pas ton regard
Tu attendais la mort, tête nue
Je puissant
Attendais la mort en croisant ton regard
Ne pas être – pas être – Être, ou bien…
C'est impossible
Elle est impossible
Cette nuée pourtant promise
Combien de temps allais-tu pleurer
De ne plus sentir ses baisers 
Tu regardais tes mains & puis les siennes
– Cesser de rêver –
Tout ça ne servait à rien – par la fenêtre,
On voyait bien que dehors il n'y avait rien
& qu'à tes cotés, la femme qui semblait
Dormir était en vérité hors d'elle, habitant le songe 

Besoin de sa bouche, même si ce besoin ne mène
Nulle part
& pourtant ce besoin de vent d'être
Tu rêves bien sûr, bien sûr
Mais qui est donc celui qui s'écrie ? 

« Le sommeil, brique après brique, construit »  


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Gilles Venier - Sans Cesse
(Tarmac, 2018)


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Extrait :

Des sacs d’angoisse peuvent bien s’empiler sur mes vertèbres. Sous la charge, l’emboîtement de verre crisse, mais l’orgueil qui est aussi pierre à levier t’a appris à tenir. Qu’ils s’y amassent donc comme ils le peuvent. Midi m'est toujours léger et me danse encor des immeubles blancs avenue des Ternes, kiosques de moineaux boulevard Barbès, affiches colorées qui clament l’humanité, les jupes et jeans, jambes d'une pure merveille te délivrant un billet pour un vol spirituel au parfum de Chesterfield. Volent au mètre par seconde les routes nationales bordant la lente marche des pluies, la lumière jaune que les grands arbres accrochent puis descendent vers les visages. 










 IV

Nous ne nous sommes rien dit ou presque de nos prières. N’avons rien dit de nos circulations, de nos absences, au miracle du toucher Corps et Âme. Rien dit sur la présence des dieux de printemps qui habitent dans les pins craquant sous la chaleur. N’avons rien entendu non plus de nos langues que leur jubilation d’hélice sur nos seins et nos cuisses.
Il faudrait pourtant dire la trace des doigts sur les verres et sur les vitres les manifestations du Ciel le songe musical des villes la beauté du ventre des femmes
entendre les basses la pulsation amoureuse des basses.

Nous sommes des paroliers impatients. L’oracle c'est le réel.
Juste à côté de l’image et du dit la pythie désordonne sa coiffure. Et lorsque nous traversons l’étrange, rien ne nous semble l'être. On y croise nos corps et nos textes désirant en abyme – frères et sœurs humanité déjà ancienne mais ce sont toujours des visages anonymes porteurs des mêmes implorations, des mêmes paysages. Nous sommes du temps ses lenteurs infinies. 

Jusqu’au dernier regard 

prose de la Rose l'Âme.

Envisage la mémoire en unités-lumière.

Recours à l’Encre et à la Pluie à grands seaux de silence. Soutiens l’heure éternelle glissée sous chaque ville, dans chaque corps et chaque esprit où reposent des lunes de lavis, des constellations de familiers lointains. 

Voue compagnon de joie et de lenteur Air Eau Soleil notre solitude l’élévation de sa parole au Vent - au souffle de la Terre à la Fleur incendiaire la vie hors du temps ce round que l'Être sans cesse inaugure dans l’ouragan l’effroi le secret. 

Invente continuellement tes traces on les effacera de même. Masque avec discipline ton immobilité la puissance de tes épaules, la fragilité de tes fictions. Beaucoup ignorent ce qu’au pied de la lettre voir et agir partager le livre veulent dire. 

Sans rien omettre de l’Eau et des Ciels, debout pieu fiché dans le sable, laisse les choses légères et graves te jouer des tours et conjurer le récit. La joie revient. 

Il faut apprendre - je crois - à écrire peu sur la forme de sa perte. Dessiner le chant n’est pas en être le sel, et dire ce qui se voit ne délivre aucune preuve. Il faut tenir son vide pour dit autant que le respir nous en permet la profération. Choisir la tendresse, le fil coupant de ses pétales. Agir muettement, écouter ce qui se lève des autres cadences.

Emprunter l’escalier des saisons dont les jours sont des siècles. Boire et reboire l’Eau à nos lèvres de salades. Suivre du regard le tube du vent suspendu au soleil.

Et puisque tout est parfait - Air trois fois inspiré – l’image seule de l’enfance à la fin reviendra, la mémoire du présent épousant gestes et pensées, et tous nos baisers de mucine nos routes nos dires nos jeux, tant nous avons dansé bougé et remué l’air passionnément, furieusement, de nos cœurs et de nos mains, courageux va-nu-pieds, passeurs obstinément cois sur nos Ciels de misère, le désordre de nos ravissements, le murmure de nos chants.
*

J’ai depuis longtemps jeté mes bourreaux aux orties, aimé nombre de visages. – prose des visages du Soleil aux couronnes d’épines de leurs résurrections. Océans oiseaux rapides Arbres.
Et partout sous les
arbres, sous l’Herbe aux cheveux de Rosée où ombres et lumières s’entrecroisent, comme dans la géométrie familière que composent ces chaises ces échelles et ces lits qui clôturent notre esprit,
le tien est là, et encore à venir.
*

Des voix réclament jour après jour qu’on inhume les phrases. Alors je prends à pleines mains des bouquets d'herbe et de gravier. – prose des pays de paille des chemins et des abeilles des pistes des paysages de pluie des laisses de mer du voyage. – prose des oiseaux jardiniers – prose des temps obliques d’une mosaïque de Ciels car nous avons été patiemment attendus par des mendiants qui ont fait don de leur parole.

Je me rappelle maintenant avoir décroché le mot orgueil de mes cervicales.

C’est que judicieusement placé sous un autre mot il servit alors de point d’appui idéal au poème-levier. – Prose de l’entente de l’improbable équilibre              des mots-fougères      de mon chant
de mendiant.
- « Mais de quoi alors pourrions-nous bien parler
et qui êtes-vous d’ailleurs ? »
- De rien de l’intériorité du voyage du pas
du tout 
du non-advenu         de l’indéterminé
de nos jours enthousiasmants enclos de joies tristes
de la fiche électrique de la radio débranchée que je perçois
telle une main gantée l’extrémité suggestive d’un vide. 

- Prose des reflets du chant ; l’intercesseur – de la bienveillance de l’éros de choses légères et graves des unités de pensées des interstices de lieux sans lieux de l’oyat des dunes de la pyramide des patelles
          mendiant dément pas artiste                                                                          et d’ailleurs oui
sûrement laborieux non confessionnel                                                        individu indivisible invisible
     clandestin. 

Aux hiatus d’offrir des retours, un infini de phrases ruines, de résonances, d’émeutes acouphènes, par épiphanies de silence et changements de perspective, pourvu que le chant aigu l’aiguille de son qui traverse nos têtes puisse lier ce qui est à brûler aux vieilles cendres et aux fleurs, et que, pénétrés par la permanence de son timbre nous restions sans vérité, marchant comme tout le monde au-dessus des morts dans l’aura du jour et son cerne noir en compagnie des bêtes, puisque nous sommes fait de chair de Ciel et d’Âme qui tiennent ce sifflement lavé par l’eau des rivières pour un chant sacré, un vieux rêve rivé à nos vieilles mémoires. 

Jusqu’aux derniers signes nombres
j’y serai.
C’est par leur bouche leur miroitement seulement par leur bouche que tient le monde. Tête obscure vouée au chant.
          Entêtement des corps-livres
des renaissances.

Et le livre de la mémoire n’existe pas. – Prose du chant de son tremblement de l’éclat descendu dans les Arbres puis glissé dans les pierres – prose du plexus solaire du regard rhapsode de la convulsion des jours jusqu’à ce que dans l’œil toutes les ères se confondent et que la prière soit une marée d’équinoxe une marée aux tambours de soude brûlée au souffle bramé et piqué de serpolet de fagots de bois flottés emmaillotés de sable et de goudron de cils de gourbet – prose de toi mon père paysan-soldat de tes gifles lourdes pelles de terre à patates que ça te plaise ou pas – prose de l’enfant bercé par la sorgue à l’œil ouvert où palpite le cœur sans sommeil – prose de la peur de ta voix entaillée par la lune dans le mortier des nuits de sable de dents cariées et d’oreillons comme paire de tenailles aux mâchoires de fièvre – prose de ma langue de mon vieil Espéranto en sifflements d’autocuiseur en vagues de Ciels roses et de jambes de soleil ricochés sur les moellons ocres et gris des fermes de la Dordogne et des Charentes – prose de quartz de silex et de pyrite d’ombres et de couteaux de ton patois aux accents Roumain – prose de ta femme engrossée six fois par tes excès de fatigue – prose du silence mais aussi d’omelettes aux cèpes de truite meunière – prose de lard de piment de persil de tomates farcies et de canards rôtis – prose des tablées familiales belliqueuses dès que le vin de Bordeaux succédait au Sancerre - romance gitane où l'amour se chante mais ne se dit pas – prose improbable de glaise bêchée de luzerne et de trèfle violet fauchés avec le soleil et la Rosée des pare-brise – prose des dernières proses au paroxysme de notre mémoire antée-numérique de poulaillers et de lapinières de fossés de brûlis de granges de remises où les ailes des faux les squelettes rouillés des faucheuses dorment le pays des vents des pailles et des poussières d'été restées collées à la graisse des essieux – prose du faire et des prières de midi en liturgies de jambes et de bras fermes aux vidanges des citernes – prose des pluies aigres et froides de gels qui ceignent cruellement les reins et les poignets - prose des corps aimés de vos courbes et vos plis d’où surgissent les effluves de pays sauvages et calmes – prose de nos voyages d'amour aux lenteurs incroyables – prose jusqu’au bout sur nos dépouilles amoureuses et les ambres qui ornèrent nos lits des variations spatiales du chant de l’enveloppement infini de la mélopée des corps et des corps dans l’entremêlement ordonné des transformations – prose obscure de la totalité par bribes de sources et de rivières – prose de la maladie des tourbes d'affects des sables mouvants – prose des fontaines et des eaux souterraines de la langue morte lorsqu’elle est peau morte d’une danse des signes – prose des âmes simples aux songes amoureux des réminiscences affleurées par le vent glissé dans les arbres puis dans les pierres et dans les cendres - prose de l’eau des corps et sa mémoire que l’âme dans ses plis retient – prose du commencement de la Rose du Nous du jaillissement d’une époque à venir seuls les accords de musique et la danse animent encore les tentatives d’effacement. Ce qui nous manque est magnifique. 


Je suis nomade d’ici 

où mon île apparaît parfois au cœur des pierres veinées de silice sous la constellation du crabe dont l’ami Mano me promit un jour de viscères noirs de surveiller ses étoiles.
Prose des sud et de l’orient du sein aubergine au lait des sources et seuils nets de joies désertes en purs déserts dormant leur gerçure de silice des septentrions aussi – prose immobile du Texte du dire muet des choses de la dysharmonie élégante des chants poussés par ceux qui vivent encore avec les paysages et s’entretiennent avec les visages de leurs Ciels.
*

En moi mon amour nombre de tes visages – prose de leurs baisers et l’argent mousseux de leurs rives tes lèvres. –
Prose des consolations des phonèmes des inflexions tonales des langages-couleurs du timbre de nos rires et de nos peines qui ne feront pas un livre mais un poème serpent 

Tiens-moi la main et partons. J’habite dehors avec toi parmi les choses et les vieux signes 

dans la bouche du songe du jour et de la nuit. 


(…) 

Ça commence toujours ainsi, par des paysages.










(Paysages, lieux. Enfance) Évocations, anamnèse, par bonds intermittents et sans repères chronologiques précis 

Nuit et force – Dordogne – 1959-61 l’épicerie 

Village de Sainte-Eulalie-d’Ans – vallée de l’Auvezère – Dordogne 

1962-63 – au lieu-dit, « les Versannes » – commune de la douze – Dordogne 

Sous l’égide de la constellation du cocher et de la mélancolie – marie-louise et ses chèvres – aux lieu-dit « les garennes » – Confolens - Charente 

À Villeneuve-Saint-Georges 1963-64 

Paris/banlieue. La radio diffuse des nouvelles d’une guerre (Viêtnam) – inlassables tourniquets sur les fauteuils de bureau pivotants, et autres « songes »

Meudon, l’observatoire, route des gardes 

Dans le département des Hautes-Alpes 1964-69 quartier Villebois à gap – révélations : neige et lumière alors jamais vues – la vallée du Queyras – le col de Manse 

Jardins ouvriers des Fauvins – gap 1967 
Arnold Layne, happiness is a warm gun, entendus en 68 sur Europe n°1 

New York, la cinquième avenue, l’empire state building – Harold lloyd, en équilibre sur les gratte-ciels, vus à la télévision 

Une photo : Verdun-Craonne, plateau de Californie (la tranchée des basques) 

Les zeppelins bombardent paris, et T.E. Lawrence prend Aqaba. 

Gaston N. – pacifique homme à tout faire – liber pater taciturne, ivrogne infiniment tendre 

Marie-Louise P. enfant, elle fit une macabre découverte dans la forêt où passait le chemin de l’école ; racines de la peur - par la suite, Marie-Louise refusa de retourner en classe 

– jargon, zircon mêmes racines (perse et arabe) ou presque ; cristaux aux possibles feux d'hyacinthe : or, jaune à grenat 

Deux photos : celle d’un jeune opérateur radio-gonio, très beau dans son uniforme de l’armée de l’air, pour l’une, et celle d’une adolescente blonde aux yeux clairs, pour l’autre (Tübingen - Münsingen), décembre 1954 

Ça commence toujours ainsi, par des paysages.

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Gilles Venier (Régis Nivelle) vit entre la Dordogne et les Pyrénées. Il est discret, écrit "peu et mal". Outre ces deux livres, publie en revue depuis les années 80. Plusieurs recueils chez Encres Vives depuis 2010. Dessine grave peint. Tient un blog : Lithoral. Hop !

Christophe Manon "Mooshiner" (les inédits)

Christophe Manon - Mooshiner

I

Ce qu’il a fallu lever d’obstacles
pour rétablir l’ordre de nos gestes
lorsque tu te pressais contre moi.
Ou bien était-ce mon corps qui se

collait contre le tien ? Et les passants
nous jetaient des regards étroits
qui ne nous touchaient pas. Pourquoi

n’avons-nous pas tous la même qualité
d’incarnation lorsque nous embrassons ?
Quel signal émet-on dans un brasier

fugace, un long baiser ? Fut un temps

où tu allais sans te retourner. Désormais

le désir est le même de vivre, mais la mort
chaque jour se rapproche un peu plus. C’est

un sport d’appendre à l’éviter, de la

contourner en faisant l’innocent. Non

pas ce soir, je suis trop fatigué. Il y a
des promesses que l’on récuse à raison,
d’autres que l’on n’oublie pas. T’ai-je

assez donné d’éphémère hier lorsque
je caressais tes jambes nues et tu restais
désemparée et muette ? Peut-être

devrais-je dire merci (merci toi et toi,

merci), mais au fond qu’importe.
Et de nouveau sur le quai nous
accueillons quelque douleur cachée
qui nous maintient dans l’axe du réel,
un peu émus, certes, et encombrés
par de vieux clichés surexposés,

pourquoi pas ? Du relâchement plus
que de la contrainte, c’est de cela
dont j’ai besoin, un tour de vis en moins,
puisque je sais à présent m’effacer

et disparaître et que je n’oublie plus.
Toutes ces phrases inutiles quand
je voudrais simplement te toucher.
Autrement dit : à quoi servent les mots
s’ils ne peuvent à l’instant te rendre

présente ? Et si je contemple longuement
par la fenêtre le grand ciel bleu
qui s’impatiente, vais-je à mon tour
me dématérialiser ? Nous avons ici
un vif désir de tout ce qui est fort,
je l’ai lu quelque part sur tes

lèvres, tes jambes, ton cou, ta peau

contre ma peau. Un poème qui n’a
d’autre plasticité que sa nécessité.
Un poème élastique et libre

de te serrer dans mes bras. Chacun

son rythme, chacun l’intensité
de ses défaillances et son agilité,
chacun sa beauté, sa grâce,
sa grandeur dans sa fragilité.
Doucement. Oh viens doucement,

ne bouge pas trop vite, s’il te plaît,
que je te sente aller et venir et que
ma peau sur la tienne ne s’embrase
pas tout de suite. Le silence

ne nous appartient pas. Il s’incline
et la pluie s’obstine à tomber. C’est
ainsi. Ai-je donc été un autre ? Je ne
m’en souviens pas. Ou bien c’était il y a
longtemps comme disait mon grand-

père. Tremble, je tremble, tu trembles,
nous suffoquons ensemble. Comment
vivons-nous ? Est-ce qu’avec l’âge

notre cœur s’endurcit ? Peut-être
pas. Cela dépend des cas. Toi,

par exemple, tu succombes de plus
en plus à une humeur mélancolique
et des larmes fleurissent dans tes yeux
sans raison apparente. Plat du jour,
un café, l’addition s’il vous plaît. Vois

comme la lumière est belle aujourd'hui,
malgré le ciel gris. On dirait que l’air
nage entre les nuages. En une fraction

de seconde basculer dans le néant ou
ressaisir un instant du passé, cette lente
et laborieuse ascension vers nulle part

où aller pour éviter les intempéries.
Ta souffrance rayonne en hiver et moi,
je traîne un peu des pieds, car je suis las
d’attendre l’avenir. Comment diable

veux-tu que l’on s’en sorte si demain
ressemble à s’y méprendre au jour
qui vient ? À présent, c’est fini,
ne pleure plus, nous reprendrons
le cours légitime du temps pour

ne rien faire, explorer des sentiers
inédits, fondre dans ta bouche

en empoignant ta longue chevelure.
C’est comme un vaste assemblage

de rêves. On y circule les yeux fermés
en tâtonnant contre la pellicule sensible
de ce film de John Huston où Paul Newman
trinque, une canette à la main, avec un ours

brun. Tu sembles toujours triste lorsque

tu me regardes, comme si tu scrutais
quelque fantomatique apparition
qui se tient derrière moi ou comme

ce poivrot accoudé au comptoir. Peut-
être aurais-je été semblable ? Tant
de solitude, de douleur dans le cœur
d’un seul homme, tant de belles vies

bousillées. Aujourd'hui, le corps
n’est plus le même. Il réagit moins
vite. C’est la maturité, dit-on. Toutefois,

j’ai toujours une arme sous mon lit
bien fourbie pour la prochaine

insurrection. Elle sera fraternelle et,
crois-moi, d’avoir douté ne nuira
pas à l’efficacité de mon intervention.
Je vais te dire un truc : ce n’est pas

parce que je suis éreinté que je ne
suis pas fiable. Probablement même

que tu n’as pas d’allié plus indéfectible.
Viens tout contre moi, j’ai soif de me
perdre dans toi. Ça fait mal et qu’y puis-je

si je bande en prononçant ton nom ?
Cela n’a rien à voir avec l’intensité
de la lumière. Ce que je veux, c’est n’avoir

pas de place et, autant que possible,

me trouver où l’on ne m’attend pas.



II

À te voir dans ce paysage semblable
à un arbre mobile et sincère, ondulant

dans le vent ténu, je voudrais renifler

la sueur de tes aisselles, m’enfouir

sous le duvet brûlant de tes innombrables

désirs. Que reste-t-il des jours lointains
où j’affrontais héroïquement mon destin ?
C’est ainsi que nous traversons les nuits
à la dérive, toutes amarres rompues,
virant de bord entre chaque escale :
ce que nous inventons, c’est quelque
chose de clandestin et de fugace, d’un peu

foutraque aussi si l’on y regarde de près.
Et je tangue sous la ligne de flottaison
de tes hanches au roulis écarlate, nageant

entre les algues longues. C’est comme

fumer un clope en contemplant la mer
ou pratiquer l’art de fouiller sous les jupes
des filles parmi les hautes herbes. L’immensité

n’est pas un alibi. Allons-nous chuter encore

sur les genoux ou incendier les cœurs

affamés de nos contemporains ? Parfois
l’on s’égare et puis l’on se retrouve

noyés dans une étreinte ou dans l’alcool,
dansant tels deux adolescents sous un soleil
horriblement démocratique entre les pierres

tombales. Ici, les noms que je te donne
vacillent sur ma langue. Camarade,

notre lutte est légitime, mais ta colère
ce n’est pas de la rage, tout au plus

de l’impuissance ou de la peur et le rejet

inquiet de toute altérité, tant tu ignores

la distinction entre violence et brutalité.
C’est du moins ce qu’il me semble. Prends

garde cependant à la force décuplée des perdants.
Combien de morts porte-t-elle en pendentif
autour de son cou délicat comme un vaste

assemblage de rêves, un peu d’électricité

sur les dents ? Nous avons tant de jours
et puis ils se résument en quelques lignes

interrompues. Pourtant, je n’ai rien oublié
de celles qui m’ont fait don de leur grâce

de vivre. Pourtant, j’ai tout oublié. Désormais,
les plaies cicatrisent moins vite. Tu pars

et tu reviens avec un autre visage encore

plus tragique. Quel drôle d’endroit

pour une déchirure. Et si j’écris cela,
peut-être est-ce parce que je suis moi-
même à nouveau. Extrêmes et lumineux,
les instants que nous passons ensemble,
rendus soucieux par l’impatience et devenus

sérieux ainsi que des amants. Comment
expliques-tu que nous ne puissions rester

éternellement enlacés ? C’est fou le nombre
d’erreurs que je commets. Apprendre l’alphabet

des passions, s’habiller de toutes les addictions,
mettre du désordre dans l’atmosphère, écouter
le présent se dissoudre sur l’asphalte trempé,
boire, baiser intensément, ne pas se dispenser

d’aimer. Une façon comme une autre de goûter

les vertus du doute et de l’incertitude. Vraiment,

je brûle de sentir sous mes doigts le grain
de ta peau onduler. L’ébriété n’a pas d’axe
ni ce foutu lyrisme impersonnel dont je suis
affublé. Peut-être un peu d’adrénaline, cette
sorte de fluidité épaisse et lourde ou bien

des souvenirs qui ne sont rien. Aucune

esquive aujourd'hui. C’est que, vois-tu,
je suis très pondérable et trop souvent

j’ai blessé mes semblables. Lorsque
tu me regardes, je suis comme un oiseau

marin englué dans une nappe de pétrole.
Où va-t-on, que fait-on, y a-t-il une somme

aux actions que nous accomplissons ? Va
te faire foutre avec de telles questions. Il

m’arrivait autrefois de redouter l’obscurité
et je restais éveillé par une douleur bleutée
comme une forme heureuse de mélancolie.
Tes états de stupeur m’émeuvent autant

que la ferveur de tes intelligences. Et si
parfois je suis inquiet, c’est que l’avenir

n’a pas lieu. Il n’y a que des trajectoires
qui se bousculent. Encore sont-elles

brisées. Impossible de s’y retrouver. Belle,

tu es belle, dit-il en fixant les frêles étincelles
au fond de ses prunelles. De fines gouttes
d’enfance se réfugient sur ses joues
tandis qu’elle dépose sur tes lèvres
un peu de cet air spécial qu’exhalent

ses poumons. Quoi d’autre ? Peut-être est-
ce l’ombre aveugle de ses mains qui savent

la science exacte des surfaces. Ma gratitude
croît à mesure que passent les années. Peut-être

sommes-nous archéologues d’un désastre

annoncé. Peut-être un ciel trop brusque
vient-il se découper sur les aspérités
du soir, guettant les prémisses d’un jour
plus sauvage et plus plein à la fois.
Un jour où s’accomplit avec rigueur

la traque inlassable des espaces intérieurs.
N’entends-tu pas maintenant la rumeur

silencieuse des êtres qui nous hantent ?
Demain je te retrouverai avec la même

violence et mon souffle à nouveau

se précipitera sur toi. Vêtus de ruines
nous respirons des détresses et des joies

plus anciennes et cela s’accumule. Mais

c’est une vérité très simple et juteuse

de séjourner en paix avec sa finitude.

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Christophe Manon (1971)
est un écrivain du commun. Fondamentalement lyrique mais travaillée par une tension formelle et des dispositifs souvent expérimentaux, son œuvre déjà conséquente dresse un chant brutal, une adresse à ses frères humains (qui vivent et après lui vivront) où s'exerce un regard sans fard, intensément politique et amoureux, sur son temps. Avant de se focaliser sur l'écriture, ce "partage" un peu russe, ce "lyrisme de masse" s'est un temps incarné dans les éditions Ikko (dirigées avec Antoine Dufeu) qui publièrent jusqu'en 2009 des livres de Henri Chopin, Michel Valprémy, Pierre Albert-Birot, Sylvain Courtoux, Vélimir Khlebnikov, Carla Harryman, Saint-Just… et deux numéros d'une revue indispensable : MIR, pavés où monstres et couillons furent assemblés avec rigueur et intelligence. Depuis, son élan se déploie dans de nombreuses lectures publiques et une collaboration intense avec les revues. Il a publié Constellations (+ CD. Ragage éditeur, 2006), L’idieu (ikko, 2007), Testament (Léo Scheer, 2011), Jours redoutables (avec Frédéric D. Oberland, Les inaperçus, 2017), de nombreux livres chez L'atelier de l'Agneau éditeur (ici), Le Dernier Télégramme (ici), Nous (ici), Extrêmes et lumineux (2015) et Pâture du vent (2019) chez Verdier, ouvrage dont on peut lire une très intéressante présentation ici.
Mooshiner est un poème d'amour, ne s'intégrant dans aucun ensemble, tranchant dans sa production, inabouti et toujours à reprendre… c'est ainsi : "Debout     récuser toute soumission      s'inventer". Hop !

Frédéric Weiss "LE TEXTE" (Fragments épars et retrouvés II)

Frédéric Weiss - LE TEXTE
(Fragments épars et retrouvés II)

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Ce fragment du SAINT LIVRE DE PREODYN est le dernier en notre possession du TEXTE, livre disparu avec son auteur. Pour mémoire, d'autres fragments furent présentés ici et plusieurs autres publiés dans le numéro 31 de la revue TXT ici. Bien entendu, l'évaporé Frédéric Weiss est revenu en Werst... On peut aller y voir ! Hop !

Serge Féray "Leur ombre inversée"

Serge Féray - Leur ombre inversée suivi de Leur ombre inversée 2.0

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Des êtres défigurés courront vers le fleuve comme des troupes de hamsters effarouchés, hurlant dans un seul cri. Leur peau ressemblera à des loques. Seul l'élastique de leur slip pendra encore autour de leurs hanches à vif. Leurs visages seront collés aux mains qui les auront protégés. Leurs yeux jailliront des orbites. Leurs nez seront des trous. On verra l'os. Des amoncellements de cadavres embouteilleront les rues. Les câbles électriques des poteaux tombés emprisonneront au sol ceux qui survivront encore. Sur les champs de Mars on trouvera des cohortes de soldats alignés comme des dominos tombés. On reconnaîtra l'officier à son sabre nu, serré dans une main qui ne sera plus que la pince d'un squelette.
D'autres courront comme des torches vivantes. Nombre d'entre eux brûleront pendant dix-huit jours. On les croira morts mais ils gémiront encore. L'eau bouillante les engloutira.
A une dizaine de kilomètres du point zéro, les passants habillés de vêtements clairs seront mieux protégés que les autres. Ceux qui porteront des chemises à motifs auront la peau à jamais imprimée de fleurs. Leur ombre restera gravée dans la pierre.
L'atmosphère surchauffée se précipitera verticalement comme dans une cheminée géante : l'air frais aspiré au niveau du sol provoquera un ouragan qui, à son tour, activera les petits foyers environnants et les attirera dans son orbite. Tous les matériaux combustibles de la zone seront distillés et complètement incinérés. Les verrières des musées d'histoire naturelle fondront sous l'intense chaleur. Les bassins des jardins des plantes s'évaporeront instantanément. Les vivants écraseront leurs oreilles de leurs mains pour ne pas entendre, par-dessus leurs propres hurlements, le bruit ef¬frayant de la combustion et du vent provoqué par le tirage. Même les aviateurs ressentiront, jusqu'à une hauteur de 4000 mètres, les turbulences d'air chaud de ces torches géantes au dessus des villes en flammes. Certains appareils seront happés dans le cyclone et brûleront avec les débris des cités.
La couverture des camions sera arrachée par le vent, les êtres humains auront leurs manteaux rabattus par dessus leur tête, les jupes des femmes se trousseront, leurs jambes couvertes de nylon s'enflammeront les premières. Ceux qui ne s'agripperont pas seront renversés, et les arbres seront déracinés, les portes et fenêtres arrachées, les tuiles descellées et entraînées en spirale dans l'air. Alors, sous le vent, tombera la pluie noire, déchets atomisés de pierre, de verre, de chair et de cité. Les maisons encore épargnées par le feu seront secouées par le vent. Beaucoup s'écrouleront.
Les gens qui tiendront encore debout dans les rues ou ceux qui, pour retrouver les leurs, seront chassés de leur refuge se précipiteront dans les bunkers ou les caves, soit blessés, soit encore valides, mais toujours affaiblis et les vêtements en feu. Des scènes de violence se déclencheront aux portes des caves. Dans les abris, le nombre des occupants dépassera du double ou du triple leur capacité réelle. On y entendra les lamentations des mères et des enfants, on y sentira l'odeur de l'urine et de la terreur humaine. On jettera dehors les animaux domestiques. Il sera interdit de fumer. De nombreuses maisons ne résisteront pas aux effets latéraux et en profondeur des bombes explosives, et s'affaisseront sur leurs fondations, enterrant vivants les occupants des caves. Dans les autres abris, les lumières seront éteintes depuis longtemps. Les canalisations seront rompues, et les hommes écouteront, en se conchiant dans le noir, le flot brûlant de l'eau montant le long de leurs jambes.
Le plafond et les murs se lézarderont. Les sorties des abris et les soupiraux s'effondreront, ou seront condamnés par les décombres, si bien que la cave sera rendue étanche au feu, mais également à l'air. Seule la chaleur croissante indiquera la gravité de la situation, toutefois pas de façon assez décisive pour donner aux gens l'idée de fuir. Dans un grand nombre de caves, le phosphore coulera. Il s'enflammera et communiquera le feu aux tas de charbon et aux piles de vieux magazines, à tel point que les gens qui n'auront pas brûlé seront asphyxiés par l'oxyde de carbone. Là où existera un dispositif d'aération, au lieu de rafraîchir l'atmosphère, il aspirera un air brûlant, plein de fumées et de gaz nocifs. Bientôt, il vomira des flammes.
Ailleurs l'air deviendra de plus en plus irrespirable.
Le déclenchement des quelques bombes à oxygène dont se seront munis les plus prévoyants n'apportera qu'un réconfort provisoire. Les allumettes ou les bougies témoins ne pourront même plus brûler convenablement et dans le noir, les gens se coucheront sur le sol, sentant qu'ils respirent mieux à ce niveau; ils vomiront et laisseront échapper leurs matières fécales; ils seront silencieux, prostrés. Enfin ils s'endormiront.
Onze jours après le sinistre, il restera impossible de séjourner dans les abris chauffés à blanc, même après avoir ouvert toutes les issues pendant cette période. Dans de nombreuses caves du centre de la ville, l'eau de décomposition des cadavres s'élèvera jusqu'à 5 ou 10 centimètres. Dans les abris règnera une chaleur qui coupera la respiration aux équipes de déblaie-ment, déjà malades à cause de la puanteur. Les pieds glisseront dans un sol chaud et ramolli, fusion de chair et de terre, qui brûlera les talons. Les bouteilles et les verres fondus recouvriront le sol d'une pâte verdâtre. On retrouvera des centaines de morts dans les abris, dans les cafés. On retirera des monceaux de cadavres des cinémas, des théâtres et des supermarchés.

*

2.0

Si vous avez la maison IV en Scorpion, vous avez déjà construit un abri anti-atomique dans votre jardin. Il ne vous reste plus qu'à supprimer la partie visible de l'immeuble, désormais inutile, et à vous installer confortablement en attendant la prochaine guerre.

Il y aura des morts, des centaines de blessés, des milliers de déportés. Des tireurs embusqués feront feu dans le noir. On téléphonera aux quatre coins du monde, pour écouter le grésillement de l'électricité statique. Dans les quartiers chics, tout prendra une allure de fête, on allumera des bougies aux terrasses des cafés et des restaurants. Sous les lampions, on valsera au son du limonaire, du piano à bretelles et du mélodica. Les femmes danseront dans leurs plus jolies robes. Les hommes s'inclineront en distribuant des coups de chapeau autour d'eux. Les enfants réciteront leur compliment aux vieilles dames en bibis à voilette.
A mesure que la nuit s'avancera, que l'alcool coulera, d'autres fêtards rejoindront les kermesses aux carrefours paralysés par l'extinction des feux de circulation. Le rythme de la musique s'emballera. La pourpre montera aux joues des femmes. Des macaques coiffés de tiares papales, tenant en laisse des hippies norvégiens, se balanceront gravement sur des escarpolettes. Des acteurs sodomites plongeront du haut des tours pour étoiler leur cervelle sur le bitume. Des prêtres s'immoleront par le feu avant de se jeter dans le vide, des défenestrés accouplés atteindront l'orgasme juste avant de s'écraser, pendant que des jeunes filles pailletées s'élanceront en formation du haut des tours, pour dessiner le temps de leur chute de grandes roues solaires, brillantes dans la nuit comme des voies lactées. Les agents de police s'exerceront au tir sous les pluies de suicidés.

Quelques rues plus loin, dans les bas-fonds, les mécontents, les pauvres, les marginaux et les malades transformeront les rues en théâtre d'orgies, de pillages, de mises à sac, de viols, d'assassinats. Ils se jetteront contre les magasins, les vitrines, les portes et grilles de sécurité. Le bruit sera terrible : cris, chocs, verre brisé, explosions, sirènes d'alarme, rafales d'armes automatiques, pleurs, rires, bagarres, hurlements d'agonie. On volera d'abord la nourriture, puis les vêtements, les mitraillettes, les télévisions, les horloges, enfin tout ce que l'on pourra transporter. On sortira les caddies des super-marchés, les landaus, les side-cars, les planches à roulettes, on raflera les chaînes hi-fi et les ordinateurs à bord de semi-remorques qui déferleront le long des avenues. La police combattra à quatre contre cent. Les commerçants défendront leurs biens à l'aide de battes de base-ball, de barres de fer et de mines anti-personnel. Lorsque la lumière reviendra, il sera trop tard. Les saccages ne s'arrêteront plus. On se réfugiera dans les cinémas, pour revoir avec nostalgie Le Tremblement de Terre, Le Choc des Mondes et Le Jour d'Après.

A l'extérieur, les bombes incendiaires auront fait monter la température. Des êtres défigurés courront vers le fleuve comme des troupes de hamsters effarouchés. Leur peau ressemblera à des loques. Seul l'élastique de leur slip pendra encore autour des hanches à vif. Les visages seront collés aux mains. Les yeux jailliront des orbites. Les nez seront des trous. On verra l'os.

Les cadavres s'empileront aux intersections routières. Les câbles électriques des poteaux tombés emprisonneront au sol les survivants. Les néons des publicités lumineuses exploseront dans de grandes gerbes d'étincelles. Sur les champs de Mars on trouvera des cohortes de soldats alignés comme des dominos tombés. On reconnaîtra l'officier à son sabre nu, serré dans une main qui ne sera plus que la pince d'un squelette. Des torches vivantes traverseront les rues. Nombre d'entre elles brûleront pendant dix-huit jours. On croira ces hommes morts mais ils gémiront encore. L'eau bouillante les engloutira.

A une dizaine de kilomètres du point zéro, les passants habillés de vêtements clairs seront mieux protégés que les autres. Ceux qui porteront des chemises à motifs auront la peau à jamais imprimée de fleurs. Leur ombre restera gravée dans la pierre.

L'atmosphère surchauffée se précipitera verticalement comme dans une cheminée géante : l'air frais aspiré au niveau du sol provoquera un ouragan qui activera les petits foyers environnants et les attirera dans son orbite. Tous les matériaux combustibles de la zone seront distillés et incinérés. Les verrières des gares, des serres et des musées d'histoire naturelle fondront sous l'intense chaleur. Les bassins des jardins des plantes s'évaporeront. Les vivants écraseront leurs oreilles de leurs mains pour ne pas entendre, par-dessus leurs propres hurlements, le bruit effrayant de la combustion et du vent provoqué par le tirage. Jusqu'à une hauteur de 4000 mètres, les aviateurs ressentiront les turbulences d'air chaud de ces torches géantes. Certains appareils seront happés dans le cyclone et brûleront avec les débris des cités.

La couverture des camions sera arrachée par le vent, les hommes auront leurs manteaux rabattus par dessus leur tête, les jupes des femmes se trousseront, leurs jambes couvertes de nylon s'enflammeront les premières. Ceux qui ne s'agripperont pas seront renversés, et les arbres seront déracinés, les portes et les fenêtres arrachées, les tuiles descellées et entraînées en spirale dans l'air. Alors, sous le vent, tombera la pluie noire, déchets atomisés de pierre, de verre, de chair. Les maisons épargnées par le feu seront secouées par le vent. Beaucoup s'écrouleront.

Les gens qui tiendront encore debout dans les rues ou ceux qui seront chassés de leur refuge se précipiteront dans les bunkers, soit blessés, soit encore valides, mais toujours affaiblis apeurés assourdis et les vêtements en feu. Des scènes de violence se déclencheront aux portes des caves. Dans les abris, le nombre des occupants dépassera du double ou du triple leur capacité réelle. On y entendra les lamentations des mères et les pleurs des enfants, on y sentira l'odeur de l'urine et de la terreur humaine. On jettera dehors les animaux domestiques. Il sera interdit de fumer. De nombreuses maisons ne résisteront pas aux effets latéraux et en profondeur des bombes explosives, et s'affaisseront sur leurs fondations, enterrant vivants les occupants des caves. Dans les autres abris, les lumières seront éteintes depuis longtemps. Les canalisations seront rompues, et les hommes écouteront, en se conchiant dans le noir, le flot brûlant de l'eau montant le long de leurs jambes.

Le plafond et les murs se lézarderont. Les sorties des abris et les soupiraux s'effondreront, ou seront condamnés par les décombres, si bien que la cave sera rendue étanche au feu, mais également à l'air. Seule la chaleur croissante indiquera la gravité de la situation, toutefois pas de façon assez décisive pour donner aux gens l'idée de fuir. Le phosphore coulera. Il s'enflammera et communiquera le feu aux tas de charbon et aux piles de vieux magazines. Les gens qui n'auront pas été incinérés seront asphyxiés par l'oxyde de carbone. Là où existera un dispositif d'aération, au lieu de rafraîchir l'atmosphère, il aspirera un air brûlant, plein de fumées et de gaz nocifs. Bientôt, il vomira des flammes.

Ailleurs, l'air deviendra irrespirable. Le déclenchement des quelques bombes à oxygène dont se seront munis les plus prévoyants n'apportera qu'un réconfort provisoire. Allumettes et bougies témoins ne pourront même plus brûler. Dans le noir, les gens se coucheront sur le sol, sentant qu'ils respirent mieux à ce niveau; ils vomiront et libéreront leurs matières fécales; ils seront silencieux, prostrés. Enfin ils s'endormiront.

Onze jours après le sinistre, il restera impossible de séjourner dans les abris chauffés à blanc, même après avoir ouvert toutes les issues pendant cette période. Dans de nombreuses caves du centre de la ville, l'eau de décomposition des cadavres s'élèvera jusqu'à 5 ou 10 centimètres. Dans les abris régnera une chaleur qui coupera la respiration aux équipes de déblaiement, déjà malades à cause de la puanteur. Les pieds glisseront dans un sol chaud et ramolli, fusion de chair et de terre, qui brûlera les talons. Bouteilles et verres fondus recouvriront le sol d'une pâte verdâtre. On retrouvera des centaines de morts dans les abris et les cafés. On retirera des monceaux de cadavres des cinémas, des théâtres et des supermarchés.

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Comme un écho de Sabatrion dans les années 90....
Serge Féray (1967) a dirigé les Cahiers de Nuit pendant les années 90. Sur un mode DIY hérité de la musique industrielle comme des beach books américains, il constitua un catalogue exemplaire de petits ouvrages photocopiés gravitant autour de la Beat Generation (Burroughs, Ginsberg, Pélieu, Ferlinghetti...), de la poésie sonore et de Fluxus (Dupuy, Heidsieck, Chopin, Gibertie...), de quelques francs-tireurs (Ossang, Parant, Alban Michel, Batsal, Tillier, Quintane...), de la littérature érotique et de la S.F. Il a traduit Genesis P. Orridge, David Tibet... C'est un spécialiste de William Burroughs. Il est surtout connu pour son livre Nico, Femme Fatale (Le Mot et le Reste, 2016) et on aimerait qu'il le soit tout autant pour son Apocalypse (Cahiers de  Nuit/Station Mir, 2000).
Leur ombre inversée a été publié dans le coffret Du Fond de l'abri (Papier Peint, 1994), oeuvre collective conçue par Thierry Weyd (qui s'y connait en abris !) avec les élèves du collège de Bricquebec et les contributions sonores, graphiques ou théoriques de Jean-Luc André, Paul Cox, El TCG, Jean C.Dussin, Claude Lévêque... La version 2.0 en est une version réécrite publiée sur le site internet dédié aux archives et extensions du projet, toujours visible ici. Hop !