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Michel Deux "et certains oiseaux meurent en vol"

Michel Deux - et certains oiseaux meurent en vol
(Fage, 2011)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici.


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Extraits :

Mis à Mal
[10/87 - 6/10/92]

                                        À Philippe Grand

..., au burin le mouvement.


Une coupe de faïence est portée vide aux lèvres. Des poires y pourrirent.
Indélébile, le tanin des moisissures s'insinue dans la matière. Poires
ou autres végétaux ; mais la cambrure des aréoles est celle de certaines
variétés de poires.
Lentement au-dessus des mères cherchent le burin.
Prise à la gorge une carafe pisse un malaga amer. La bouche ne fait joint.
Eternuements. Crachats. Larmes aux yeux. L'horizon sans l'oeuf où dort
l'eau de bave trempe.
Döl sanglé, le buste se relève. Le coeur cogne. Le corps - dont le nom de
Döl - apprécie, entre lui et l'esprit, circonvenu par la digestion du sang,
la nouure. Les absences pycnoleptiques barattent la matière laiteuse du réel.

Pieds aux creux, plantés, de l'intrication de sources lentes, la cheville prise,
aspirés, tant que la poplité s'huile, un pli à l'aine saigne ; dessous,
sur un tendon, un foisonnement de diverticules peauciers en appelle
à la soumission, au défaut de résistance - tendreté de la viande au galbe - ;
Cendra soulève à deux mains ses hanches les dents plantés dans une branche.

Le papier se détache des murs, jauni, en haut, au coin des lès.
le bras se déplie brusquement et lâche la coupe de faïence en direction
d'un cliché, cloué par deux fléchettes de bois, d'un film oublié. Döl cherche
ce qu'il est en train de penser, doublement raidi au mitant du lit.
Il a tant paressé, caressant avec ses doigts saouls les épaules des filles
toujours trop jeunes, partenaires trop moites, aux empressements laids.
Döl regarde au travers de la fenêtre. De l'index il souligne la légère douleur
autour de ses orbites. Bientôt cinq nuits qu'il monte la garde en regard
d'une colline ; et, du ciel aussi, terribles d'ennui et d'épaisseur.
Döl s'autorise de brèves allées et venues : déboucher du lirac, libérer
sa vessie. Bougies.
Le sel efface les esquisses des falaises de talc.
Il lui semble que quelquefois le mur, dans son dos, avance.

Du sang régurgité coagule sur le plancher. L'ammoniac strie l'air.
Sand mille raies que l'on chiffonne à deux mains. Sang cuit dans de lourdes
poêles. Döl fouille les draps de ses pieds visqueux. Yeux clos la chambre se
tapisse de lichens et il faut pousser loin pour rencontrer les murs où iront
se froisser les ailes de l'anGe que l'on entend approcher. Au pieds du lit la
sanquette refroidit. Le poivre moulu grossièrement entaille la surface.

Anus largement dilaté, regardant les bambous que l'on taille et brûle au bout,
Cendra depuis des heures retire jupe de calicot. Une culotte fendue lacée.
Des mouettes lâchent des pierres sur des crapauds, certaines atteignent
Cendra au cul lorsque le cycle la présente cambrée au maximum.
Accroupi dans les herbes l'anGe tire à l'arbalète sur les oiseaux.
La nudité sans cesse retardée cèle les ombres. Ebauches d'un mot qu'une
griffure va [scindre]. Un calao se laisse tomber ; las.

À la seule branche, dernière, de l'arbre en tuyère, réserve de larves, d'oeufs,
de papillons dont les ailes-fauves sont floues, un clou. Un lacs tient à ce clou
placé autour d'une malléole. Des insectes volants, d'un amas de maries-
salopes empêtrées dans la lagune, se projettent vers l'oiseau pendu à l'envers.
L'aile droite bat le sol, les rémiges brisées, tuyaux fendus, les barbes gonflées
saucent une masse verdâtre.

Le regard perdu sur la mer, dont on ne peut éviter la répétition de l'absence,
Döl psalmodie. Rougeoiment où le soleil vient s'enrouler dans la gorge.
La mer est là et ses vagues godrons. La presqu'île est trop étranglée
pour que l'image de la flaque immense échappe. Döl se couche dans les
ajoncs frottant avec violence son masque de peau contre le sable.
Döl boit du vin où macéra de la buglosse. Ses doigts courent sur un fruit trop
mûr. Les premières phalanges, poussées, s'enfoncent. Döl lèche les fèces
gluantes s'épanchant hors des cratères puis celles retenues sous ses ongles.
Allongé, sous le ciel biface, Döl se risque à l'ondulation du monde.
À la béance des bords. À l'échec.

Sérieusement éméché l'anGe flirte avec son reflet. Cendra s'étiole coincée
entre l'écorce et la moelle de l'épicéa dont elle rêve. Dans la blancheur
de son visage de jeune fille le front rosit où s'appuie le regard de l'anGe
lorsqu'il l'y mène.
L'anGe accepte de regarder en cet instant l'oscillation hypnotique d'un
crachat retenu par le nombril de Cendra.

Un vin liquoreux durcit les trapèzes. Le liquide poisse la gorge. L'anGe,
tenace, aiguise la point lancéolée de ses traits sur une pierre noire devant lui.
Il confectionne l'empennage avec son propre duvet, arrachant, du pouce
et de l'index, une touffe à son croupion. L'anGe dépose un coil et fume
à la saignée du coude. Paupières de ciment l'anGe tousse.
Au-dessus d'une ombellifère de tourterelles festonne un nuage.

Une femme gît dans l'étoupe, dômes hissés. Mahométante. Döl casse l'anGe
sur les fesses froides de l'étouffée. La peau du ventre se tend.
Les ailes rognées pendent sobrement. Le kriss s'enfonce sous l'ombilic,
Döl tord le poignet. Le corps de l'anGe tressaille. Döl passe un doigt
où le sang a trouvé rigole puis sa main touche la fourche humide. Bientôt,
il caresse l'intérieur du ventre détendu, flatte les lobes épais du foie.

Le corps - dont le nom de Döl - brusquement se contracte.
Les plumes urticantes de l'ange cherchent les raies inguinales. Idéal du rêve
agir sur la nuit. Peut-on soumettre aussi vilement l'anGe ?
Döl se rendort pris en masse dans la concupiscence. Des visage sans cesse
semblables et semblablements travaillés le lapident alors à loisir.
Il y devine les meurtrissures d'oviscaptes, les sillons de fractures, les cals.
Assoupissement de la nuit s'offrir le jour smorzando. Falbalas de chair.
Hirsutisme. Gnomes gesticulant autour d'un épouvantail.

La blancheur du visage d'une jeune fille en noir jusqu'aux bas blancs,
ses joues qui rosissent sous le regard appuyé de Döl. Döl enduit ses doigts
du sang du ventre. revêt la face écorchée. Herbes sèches, druge, où furent
jetés les restes de l'anGe, le cuir enserre la langue de Döl. Des vipères
grises, en noeuds, sont prêtes à tuer.
Döl et Cendra convulsent, de sucer la bouche et le nez - Döl et Cendra,
Cendra de Döl. La sueur suit les linéaments, accuse les canaux épidermiques,
les rides.
Döl et Cendra tombent et le reflux à l'écorchure des reins les sépare.
Les index joints glissent sur l'arête du nez. Ils remontent aux tempes
suivant la veinule bleuâtre. La langue de Döl cherche la glotte. Les joues
se creusent. L'anGe crache dans sa paume et cire l'extrémité du jonc
qu'il tient lorsqu'il marche.

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 ...Même s’ils y perdent l’esprit certains se consacrent aux puzzles qui font apparaître, sis dans la pourriture des sociétés qui se décomposent, les espaces salubres. » Michel Deux (1959-1997)Michel Deux était une figure centrale de l’underground des années 80 et 90 : écrivain, traducteur, musicien, plasticien (collages, mail-art...), manipulateur de réseaux... Ce volume posthume, postfacé par Philippe Grand, regroupe des textes tendus, violemment baroques, rêches comme l’étaient sa musique et ses performances, que Michel Deux, qui n’eut pas le souci de laisser œuvre – ou pas le temps, dispersa dans des fanzines aujourd'hui introuvables. Hop !