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Extraits :
Monsieur Crabe, cet homme cadenas
Merci j'éternue du sol le plus creux d'où les os les pleurs les oiseaux de la peur montent et sautent à la corde des puits de feu de la nuit de la fin des mondes et des dieux il semble que parfois et toujours si l'on vient préviens-moi je serai sur mes gardes et la peur qui s'enfuit par les fentes des nuits les failles de la mémoire les courbures du ciel et les hanches des marbres aplatira tout court il demeure évident pour quelques-uns dont l'âne que l'heure est grave et la moisson sempiternelle des comètes et des coccinelles ne laisse rien prévoir du prochain déluge qui attend debout derrière la porte de l'occident des grandes eaux l'espace diminue à vue d'oeil et prend la forme d'une oreille à laquelle on ne peut plus s'habituer malgré la sincérité désespérée des efforts dérisoires tant il est dur de se faire à l'oreille lorsqu'on a vécu d'espérance depuis la plus tendre enfance à fond de cale et faction dont les phénomènes particulièrement pointus furent rendus par l'éminent Boeuf s'il peut agir de lui dans ce cas éclairant occupez-vous plutôt des scies du ciel et des offrandes je dis j'offre et je prends de ma main rapace et pourrissante ce que je donne en retenant entre les dents des éboulis de cris à m'en boucher la bouche flambons ensemble enfant trop belle flambons en flamme à l'unisson brisante amante dans la sécheresse éperdue des cendres chaudes et des manchots rôtis dont les jambes sont déjà loin disparaissent derrière la courtine de l'horizon qui court en rond l'anneau du ciel qui tourne parce que c'ets là son rôle le plus vain mais le plus vénéneux il ne reste plus rien dans cette coupe creuse que l'écho mort et renaissant tous les mille ans de l'antique appel dont le son déchirant a pénétré la première nuit de l'intérieur de l'homme de cette grande horreur que l'on a dit panique alors qu'elle est sans nom tais-toi au premier tournoiement des frondes la voie lactée se décroche et se noue en écharpe autour de la statue en forme de poire élevée à la mémoire des morts de rire étouffant fin tragique
(La vie l'amour la mort le vide et le vent)
***
Le fils de l'os parle
Je frappe comme un sourd à la porte des morts
Je frappe de la tête qui gicle rouge
On me sort en bagarre on m'emmène
Au commissariat
Rafraîchissement du passage à tabac
Les vaches
Ce n'est pas moi pourtant
Qui ai commencé
A la porte des morts que je voulais forcer
Si je suis défoncé saignant stupide et blême
Et rouge par traînées
C'est que je n'ai jamais voulu que l'on m'emmène
Loin des portes de la mort où je frappais
De la tête et des pieds et de l'âme et du vide
Qui m'appartiennent et qui sont moi
Mourrez-moi ou je meurs tuez-moi ou je tue
Et songez bien qu'en cessant d'exister je vous suicide
Je frappe de la tête en sang contre le ciel en creux
Au point de me trouver debout mais à l'envers
Devant les portes de la mort
Devant les portes de la mer
Devant le rire des morts
Devant le rire des mers
Secoué dispersé par le grand rire amer
Epars au delà de la porte des morts
Disparue
Mais je crie et mon cri me vaut tant de coups sourds
Qu'assommé crâne en feu tombé je beugle et mords
Et dans l'effondrement des sous-sols des racines
Tout au fond des entrailles de la terre et du ventre
Je me dresse à l'envers le sang solidifié
Et les nerfs tricoteurs crispés jusqu'à la transe
Piétinez piétinez ce corps qui se refuse
A vivre au contact des morts
Que vous êtes pourris vivants cerveaux d'ordures
Regardez moi je monte au-dessous des tombeaux
Jusqu'au sommet central de l'intérieur de tout
Et je ris du grand rire en trou noir de la mort
Au tonnerre du rire de la rage des morts
Loin des portes de la mort où je frappais
De la tête et des pieds et de l'âme et du vide
Qui m'appartiennent et qui sont moi
Mourrez-moi ou je meurs tuez-moi ou je tue
Et songez bien qu'en cessant d'exister je vous suicide
Je frappe de la tête en sang contre le ciel en creux
Au point de me trouver debout mais à l'envers
Devant les portes de la mort
Devant les portes de la mer
Devant le rire des morts
Devant le rire des mers
Secoué dispersé par le grand rire amer
Epars au delà de la porte des morts
Disparue
Mais je crie et mon cri me vaut tant de coups sourds
Qu'assommé crâne en feu tombé je beugle et mords
Et dans l'effondrement des sous-sols des racines
Tout au fond des entrailles de la terre et du ventre
Je me dresse à l'envers le sang solidifié
Et les nerfs tricoteurs crispés jusqu'à la transe
Piétinez piétinez ce corps qui se refuse
A vivre au contact des morts
Que vous êtes pourris vivants cerveaux d'ordures
Regardez moi je monte au-dessous des tombeaux
Jusqu'au sommet central de l'intérieur de tout
Et je ris du grand rire en trou noir de la mort
Au tonnerre du rire de la rage des morts
(La vie l'amour la mort le vide et le vent)
***
Je veux être confondu...
ou
La halte du prophète
A Claude Sernet
Vous vous trompez je ne suis pas celui qui monte
Je suis l'autre toujours celui qu'on attends pas
Ma face sous le masque rouge gloire et honte
Tourne au vent que je veux pour seul guide à mes pas
J'assumerai l'immobilité des statutes
Sous la colère de l'orage aux gestes tors
Qui rompt au sol vos fronts ruines abattues
Mais me laisse debout n'ayant raison ni tort
Qu'espérez-vous de moi seul droit dans la tourmente
Terriblement absent roide et froid sans sommeil
Pour parler aux vieux morts il faut trouver la fente
Par où filtre un rayon noir de l'autre soleil
Et si je tombe avant le soir sur la grand'route
La face contre terre et les deux bras en croix
Du fond de tout l'influx de force sourd en moi
Je me redresserai pour la nuit des déroutes
Et je remonterai vers vous comme la voix
Des grandes eaux hurlant sous les nocturnes voûtes
Avant l'heure et le signe advenus laissez-moi
Laissez-moi seul vous tous qui niez le prophète
Transmuant toute vie en un retrournement
Du sens illuminé par d'immortels tourments
Laissez-moi dans le vide atroce de ma tête
Confondant confondu confondu confondant
(Le miroir noir)
***
"Ecrivant peu, je me promets de n'écrire que l'essentiel." Et l'essentiel de Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943) est démesuré ! Car dans l'oeuvre de ce poète consumé, d'abord collective avec Le Grand Jeu, qui reste à peu près le seul groupe que Père André Breton n'a pu baiser (on se reportera à l'indispensable réédition de la revue en fac-similé publiée par Jean-Michel Place en 1977 et disponible ici. Sinon à l'anthologie Les Poètes du Grand Jeu établie par Zéno Bianu publiée par Poésie/Gallimard en 2003) puis continuée sans plus de concessions dans la solitude de celui qui "vécut à la limite de l'individu", on lit toute l'enfance emmenée dans "la chaîne sans fin des négations"... et ça résonne toujours méchamment, depuis Antonin Artaud, Stanislas Rodanski et jusqu'à aujourd'hui à travers Cédric Demangeot (qui lui a consacré un essai intitulé Votre peau n'a pas toujours été votre limite publié par Jean-Michel Place en 2001) ou le rare F.J. Ossang, entre autres exemples d'intensité et d'intransigeance. Bref ! Un poète résolu ("...à tout pour, selon les occasions, saccager, détériorer, déprécier, ou faire sauter tout édifice social, fracasser toute langue morale, pour ruiner toute confiance en soi...") et qui n'a joué qu'une fois !
Cette réédition des deux recueils publiés du vivant de Roger Gilbert-Lecomte, après le récent volume des Ecritures (Une plaquette dense constituée d'un choix de textes et d'une postface de Franck Guyon parue aux Editions Marguerite Waknine en 2014), continue donc d'enrichir un corpus de publications et de commentaires brillants (malheureusement souvent indisponibles, comme ceux de Alain et Odette Virmaux publiés chez Belfond et Rougerie, ou l'essai de Christian Noorbergen publié chez Seghers)... En attendant la prochaine réédition (enfin ! on commençait à croire à une rédition !) des Poésies complètes prévue chez Poésie/Gallimard en 2015.