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Extraits :
(...)
Je suis un Sans-patrie. Je n'ai pas de patrie. Je voudrais bien en avoir une mais je n'en ai pas. On me l'a volée ma patrie.
A tous ceux qui ne possèdent point, à tous les pauvres, à tous ceux qui ne sont ni les laquais des riches ni les bouffons à leur service, on a volé leur patrie. A tous ceux qui sont obligés de travailler pour des salaires dérisoires qui leur permettent à peine de réparer leurs forces; à tous ceux qui ne trouvent même pas, en retour de la sueur de sang qu'ils offrent, le morceau de pain qu'ils demandent; à tous ceux que leurs cerveaux pleins désignent à la haine et dont le large front est brisé par l'indigence comme par un casque de torture; à tous ceux qui errent le long des rues ou des routes en quête d'une pitance ou d'un gîte; à tous ceux qui renoncent à gagner leur vie et se décident à l'empoigner; à tous ceux qui crèvent dans le fossé du chemin, dans leur taudis, sur le grabat de l'hôpital ou dans la cellule de la prison; à tous ceux que tue la misère physique ou morale, ou qui se donnent la mort pour lui échapper - on a volé leur patrie.
A toutes celles dont l'immense labeur sans salaire permet à l'abjecte Société de continuer sa route imbécile; à toutes celles dont les flancs féconds fournissent aux éternels Molochs la chair humaine qu'ils réclament sans trêve; à toutes celles dont les flancs stériles sont voués aux luxures assoupissantes et dont les baisers mettent le baume du vice sur les plaies vives de l'universelle détresse; à toutes celles dont l'intelligence, la bonté, la délicatesse et la grandeur d'âme sont étouffés ainsi que des plantes mauvaises; à toutes celles qui sont victimes, esclaves, damnées - on a volé leur patrie.
Aux tout petits, dont l'âme à peine ouverte est flétrie par les émanations pestilentielles du marécage social; aux enfants dont l'esprit a conçu des rêves que la liberté aurait fait naître grandioses, et que font avorter les grilles de la misère - on a volé leur patrie.
Aux armées de pauvres, aux hordes de misérables, et même aux bandes de brigands - on a volé leur patrie.
Je crie : Au voleur !
De tous les hommes auxquels on fait croire que le patriotisme est un sentiment abstrait, indéfinissable, qu'il ne faut point tenter d'expliquer, mais pour lequel il est utile et glorieux de souffrir et de mourir- on a chouriné l'esprit afin de les empêcher de voir ce que c'est que la patrie.
De toutes les femmes auxquelles on persuade qu'elles doivent, par patriotisme, mener une existence de dévouement morne et stérile, de noire abnégation, qu'elles doivent sacrifier sans espoir de récompense leur vie, leurs affections, leurs rêves et les fruits de leurs entrailles - on a étranglé l'âme et arraché le coeur afin de les empêcher de voir ce que c'est que la patrie.
De tous les enfants dont on farçit le cerveau d'abominables et ridicules légendes et des infâmes leçons du catéchisme religioso-civique - on a étouffé l'intelligence afin de les empêcher de voir ce que c'est que la patrie.
De tous ceux qui travaillent, qui peinent, qui souffrent, et qui n'ont rien - on a tué l'énergie afin de les empêcher de voir ce que c'est que la patrie.
Je crie : A l'assassin !
Je crie révolte, et je crie vengeance. Je crie : En voilà assez !
(...)
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Le goût n'est pas seulement
une indication de moralité;
c'est la seule moralité.
RUSKIN
En effet, quelle que soit la cécité morale du peuple et quelque attaché qu'il soit à son aveuglement, il viendra bien un moment où il sera obligé de s'apercevoir que ce qu'on lui donne comme gaîté n'est que désolation; que ce qu'on lui donne comme esprit n'est que misérable sottise; que ce qu'on lui donne comme force n'est que pitoyable faiblesse. Il s'apercevra alors que les calembours de vaudeville, les flons-flons du café-concert, l'assourdissante chaudronnerie des musiques militaires, le rire gras de la presse à scandales et les hoquets hytériques de la littérature patentée sont les éléments nécessaires de l'épouvantable cacophonie qui doit étouffer ses gémissements, ses plaintes et ses cris de révolte. Il s'apercevra de tout ce qu'il y a de dégradant et d'abject dans son acceptation d'une oppression intellectuelle aussi grossière, dont les motifs sont aussi clairs à deviner et les résultats aussi faciles à constater. Il se rendra compte que c'est en lui, en lui seul, que résident la joie, l'esprit et la force. Et l'exaltation que produira cette découverte lui donnera l'énergie au nettoyage définitif de l'intelligence française, depuis si longtemps déshonorée, salie et corrompue par les dégoûtants coquins de la bourgeoisie. (...)
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Le présent état de choses n'est sûrement pas le résultat d'un pacte librement consenti entre dirigeants et dirigés. Mais, s'il l'était, il ne pourrait certainement pas être défendu avec plus d'obstination par les deux parties contractantes. Quand on pense aux luttes de toute nature que les Pauvres ont à endurer afin de ne point sortir du rôle passif qui leur est assigné dans la tragi-comédie sociale, on se demande si réellement c'est la manque de courage qui les empêche d'essayer de modifier la situation. De fait, ce n'est pas le manque de courage, en termes précis. C'est la fragmentation de ce courage; la division jusqu'à l'infini de leurs facultés énergiques. Ce sectionnement des forces morales du peuple a été pratiqué avec une grande habileté, principalement par la création de soi-disant devoirs et de prétendus droits politiques, qui n'existent effectivement ni les uns ni les autres. Par exemple, on est arrivé à convaincre le Pauvre que voter, c'est remplir un devoir, accomplir un acte. Il l'a cru. Il n'a pas vu que c'était simplement renoncer à agir. Il n'y a pas d'action indirecte. Un mandant est un homme qui refuse de faire oeuvre personnelle; un mandat est une abdication; un mandataire est un être qui fonctionne par ordre, ou plutôt - car c'est nécessairement un imbécile ou un misérable - qui fait semblant de fonctionner en vertu d'un ordre. La vaniteuse lâcheté confie le soin de ses destinées à l'ambition stérile. Résultat logique : néant. Voilà le devoir; voilà le droit; voilà l'acte. (...) Les pauvres semblent avoir à coeur de perpétuer l'état social actuel, dans lequel ils crèvent lamentablement et vivent plus lamentablement encore. Ils paraissent considérer cet état social comme une situation rationnelle, basée sur la concorde; comme l'expression, aussi parfaite que possible à la pauvre humanité, d'une harmonie préétablie. Ils sont tellement anxieux de ne la troubler en aucune façon qu'ils ont encombré leur route vers le progrès et le bonheur, où quelquechose les appelle malgré eux, d'une multitude d'obstacles d'aspect menaçant et terrible.
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... Et ça cogne comme ça pendant les 380 pages de cette réédition - enfin - non caviardée du livre (contrairement à celle de Jean-Jacques Pauvert qui ne voulait pas froisser ses amis marxistes) enrichie d'un index précieux, où tout le monde en prend pour son grade : riches, pauvres, cognes, nationalistes, marxistes, militaires, antisémites, socialistes, bourgeois, catholiques... Une leçon de coeur et d'anarchie !