Charles Reznikoff
Holocauste
(Prétexte éditeur, 2007)
(A priori) disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...
Holocauste
(Prétexte éditeur, 2007)
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***
Extrait :
ENFANTS
1
Une fois, parmi les convois, il y en eut un avec des
enfants - deux wagons de marchandise pleins.
Les jeunes hommes qui triaient les affaires de ceux qui
avaient été emenés aux chambres à gaz
durent déshabiller les enfants - c'étaient des orphelins -
et puis les emmener au "lazarette".
Là les S.S. les abattirent.
2
Un grand camion à huit roues arriva devant l'hôpital
où se trouvaient des enfants ;
sur les deux remorques - bennes débâchées - se
trouvaient des femmes et des hommes malades
gisant sur le plancher.
Les Allemands jetèrent les enfants dans les bennes
depuis le second étage et les balcons -
des enfants de un à dix ans ;
ils les jetèrent sur les malades dans les bennes.
Certains enfants essayèrent de s'accrocher aux murs,
griffèrent les murs de leurs ongles ;
mais les Allemands criaient
et battaient et poussaient les enfants vers les fenêtres.
3
Les enfants arrivaient au camp dans des bus,
gardés par des gendarmes du gouvernement français de
Vichy.
Les cars s'arrêtaient au milieu de la cour
et les enfants étaient rapidement emmenés
pour laisser la place aux cars suivants.
Effrayés mais tranquilles,
les enfants descendaient en groupe de cinquante ou
soixante à quatre-vingt ;
les plus jeunes enfants se tenaient aux plus âgés.
On les montait aux étages jusqu'à de grandes salles vides -
sans meubles
et avec seulement des sacs de paille sale par terre, pleins
de punaises :
des enfants de deux, trois ou quatre ans,
en vêtements déchirés et sales,
car ils avaient déjà passé deux ou trois semaines dans
d'autres camps,
sans qu'on s'occupe d'eux ;
et ils étaient maintenant en route pour un camp de la mort
en Pologne.
Certains n'avaient qu'une chaussure.
Beaucoup avaient la diarrhée
mais on ne leur permettait pas d'aller dans la cour
où se trouvaient les cabinets ;
et, bien qu'il y eut des pots de chambre dans le couloir de
chaque étage,
ils étaient trop grands pour les petits enfants.
Les femmes du camps qui étaient aussi des déportées
et sur le point d'être emmenées aux autres camps
étaient en larmes :
elles se levaient avant le jour
et allaient aux salles où se trouvaient les enfants -
de cent à cent vingt dans chaque salle -
pour arranger les vêtements des enfants ;
mais les femmes n'avaient pas de savon pour nettoyer les
enfants,
pas de sous-vêtements propres à leur donner,
et seulement de l'eau froide avec quoi les laver.
Quand la soupe arrivait pour les enfants,
il n'y avait pas de cuillères ;
et elle était servie dans des boites de conserve
mais les boites étaient parfois trop chaudes pour que les
enfants les tiennent.
Après neuf heures du soir personne - excepté trois ou
quatre qui avaient une autorisation -
n'avait le droit de rester avec les enfants.
Chaque pièce était alors dans l'obscurité,
à part une ampoule peinte en bleu à cause des consignes
de black-out.
les enfants s'éveillaient la nuit,
appelaient leurs mères
et se révaillaient les uns les autres,
et quelquefois tous dans la pièce se mettaient à crier
et même éveillaient les enfants des autres pièces.
Un visiteur une fois arrêta un des enfants :
un garçon de sept ou huit ans, beau, vif et gai.
Il n'avait qu'une chaussure et son autre pied était nu,
et son manteau de bonne qualité n'avait plus de boutons.
Le visiteur lui demanda son nom
et puis ce que faisaient ses parents ;
et il dit, "Papa travaille au bureau
et Maman joue du piano".
Puis il demandait au visiteur s'il rejoindrait bientôt ses
parents -
on disait toujours aux enfants qu'ils partiraient bientôt
rejoindre leurs parents -
et le visiteur répondit, "Certainement. Dans un jour ou
deux."
Alors l'enfant sortit de sa poche
la moitié d'un biscuit de l'armée qu'on lui avait donné
au camp
et dit, "Je garde cette moitié pour maman" ;
et puis l'enfant qui était si gai
fondit en larmes.
4
D'autres enfants, également séparés de leurs parents,
arrivèrent dans des bus,
et furent descendus dans la cour du camp -
une cour entourée de barbelés
et gardée par des gendarmes.
Le jour où ils partirent pour le camp de la mort
ils furent éveillés à cinq heure du matin.
Grognons, à moitié endormis, la plupart d'entre eux
refusèrent de se lever et de descendre dans la cour.
Des femmes - des volontaires françaises, car ils étaient
encore en France -
exhortèrent les enfants doucement
à obéir - il le fallait ! - et libérer les salles.
Mais beaucoup encore ne voulurent pas quitter les sacs de
paille sur lesquels ils avaient dormi
et alors les gendarmes entrèrent,
et emportèrent les enfants dans leurs bras ;
les enfants hurlaient de peur,
se débattaient et essayaient de s'accrocher les uns aux
autres.
5
Les gardes féminins de la section des femmes du camp de
concentration
mettaient les petits enfants dans des camions
pour les emmener aux chambres à gaz
et les enfants hurlaient et criaient, "Maman, maman",
même si les gardes essayaient de leur donner des
sucreries pour les calmer.
(...)
Un grand camion à huit roues arriva devant l'hôpital
où se trouvaient des enfants ;
sur les deux remorques - bennes débâchées - se
trouvaient des femmes et des hommes malades
gisant sur le plancher.
Les Allemands jetèrent les enfants dans les bennes
depuis le second étage et les balcons -
des enfants de un à dix ans ;
ils les jetèrent sur les malades dans les bennes.
Certains enfants essayèrent de s'accrocher aux murs,
griffèrent les murs de leurs ongles ;
mais les Allemands criaient
et battaient et poussaient les enfants vers les fenêtres.
3
Les enfants arrivaient au camp dans des bus,
gardés par des gendarmes du gouvernement français de
Vichy.
Les cars s'arrêtaient au milieu de la cour
et les enfants étaient rapidement emmenés
pour laisser la place aux cars suivants.
Effrayés mais tranquilles,
les enfants descendaient en groupe de cinquante ou
soixante à quatre-vingt ;
les plus jeunes enfants se tenaient aux plus âgés.
On les montait aux étages jusqu'à de grandes salles vides -
sans meubles
et avec seulement des sacs de paille sale par terre, pleins
de punaises :
des enfants de deux, trois ou quatre ans,
en vêtements déchirés et sales,
car ils avaient déjà passé deux ou trois semaines dans
d'autres camps,
sans qu'on s'occupe d'eux ;
et ils étaient maintenant en route pour un camp de la mort
en Pologne.
Certains n'avaient qu'une chaussure.
Beaucoup avaient la diarrhée
mais on ne leur permettait pas d'aller dans la cour
où se trouvaient les cabinets ;
et, bien qu'il y eut des pots de chambre dans le couloir de
chaque étage,
ils étaient trop grands pour les petits enfants.
Les femmes du camps qui étaient aussi des déportées
et sur le point d'être emmenées aux autres camps
étaient en larmes :
elles se levaient avant le jour
et allaient aux salles où se trouvaient les enfants -
de cent à cent vingt dans chaque salle -
pour arranger les vêtements des enfants ;
mais les femmes n'avaient pas de savon pour nettoyer les
enfants,
pas de sous-vêtements propres à leur donner,
et seulement de l'eau froide avec quoi les laver.
Quand la soupe arrivait pour les enfants,
il n'y avait pas de cuillères ;
et elle était servie dans des boites de conserve
mais les boites étaient parfois trop chaudes pour que les
enfants les tiennent.
Après neuf heures du soir personne - excepté trois ou
quatre qui avaient une autorisation -
n'avait le droit de rester avec les enfants.
Chaque pièce était alors dans l'obscurité,
à part une ampoule peinte en bleu à cause des consignes
de black-out.
les enfants s'éveillaient la nuit,
appelaient leurs mères
et se révaillaient les uns les autres,
et quelquefois tous dans la pièce se mettaient à crier
et même éveillaient les enfants des autres pièces.
Un visiteur une fois arrêta un des enfants :
un garçon de sept ou huit ans, beau, vif et gai.
Il n'avait qu'une chaussure et son autre pied était nu,
et son manteau de bonne qualité n'avait plus de boutons.
Le visiteur lui demanda son nom
et puis ce que faisaient ses parents ;
et il dit, "Papa travaille au bureau
et Maman joue du piano".
Puis il demandait au visiteur s'il rejoindrait bientôt ses
parents -
on disait toujours aux enfants qu'ils partiraient bientôt
rejoindre leurs parents -
et le visiteur répondit, "Certainement. Dans un jour ou
deux."
Alors l'enfant sortit de sa poche
la moitié d'un biscuit de l'armée qu'on lui avait donné
au camp
et dit, "Je garde cette moitié pour maman" ;
et puis l'enfant qui était si gai
fondit en larmes.
4
D'autres enfants, également séparés de leurs parents,
arrivèrent dans des bus,
et furent descendus dans la cour du camp -
une cour entourée de barbelés
et gardée par des gendarmes.
Le jour où ils partirent pour le camp de la mort
ils furent éveillés à cinq heure du matin.
Grognons, à moitié endormis, la plupart d'entre eux
refusèrent de se lever et de descendre dans la cour.
Des femmes - des volontaires françaises, car ils étaient
encore en France -
exhortèrent les enfants doucement
à obéir - il le fallait ! - et libérer les salles.
Mais beaucoup encore ne voulurent pas quitter les sacs de
paille sur lesquels ils avaient dormi
et alors les gendarmes entrèrent,
et emportèrent les enfants dans leurs bras ;
les enfants hurlaient de peur,
se débattaient et essayaient de s'accrocher les uns aux
autres.
5
Les gardes féminins de la section des femmes du camp de
concentration
mettaient les petits enfants dans des camions
pour les emmener aux chambres à gaz
et les enfants hurlaient et criaient, "Maman, maman",
même si les gardes essayaient de leur donner des
sucreries pour les calmer.
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***
De l'immense poète objectiviste et clair Charles Reznikoff, il est absolument indispensable de tout lire, dont les récents Rythmes 1 & 2, poèmes (Editions Héros-limite, 2013) et Témoignage, Les Etats-Unis, 1885-1915 (P.O.L., 2012). Hop !