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André Salmon "Léon Léhautier anarchiste pur" Nurse With Wound

André Salmon - Léon Léhautier anarchiste pur
(Lenka Lente, 2015)


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Extrait :

(...)
bbbÀ l'assassin illuminé qui rentre chez Duval pour y frapper un bourgeois, au hasard, le rédacteur du Temps commence par demander s'il a quelque regret de son acte. C'est à peu près comme si, voué par son cher Temps à la rubrique de l'Elysée, il avait été, au lendemain de l'exécution de Ravachol, demander respectueusement au président Sadi Carnot s'il avait le moindre regret de son acte.
bbbLa réponse du cordonnier meurtrier coupe le souffle au journaliste. C'est à peine croyable. Ce sacré Léhautier n'est pas du tout secoué par le remords.
bbbCelui qui s'est livré pour que son acte, croit-il, prenne toute la signification nécessaire, indispensable, donne au reporter à griffonner ces mots sur son carnet :
bbb- Aucun regret. Je recommencerais. Ce que vous appelez mon crime, c'est un acte de propagande.
bbbPour achever d'abrutir son interlocuteur, Léhautier ajoute, convaincu, sincère, fervent, sans état excessif :
bbb- C'est une belle action.
(...)

*


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André Salmon (à droite) avec Modigliani et Picasso.

En 1893, Léon Léhautier, vingt ans, poignarde M. Georgevitch, ministre de Serbie, pour la raison qu'il porte à la boutonnière la légion d'honneur. Il exécute le mot d'ordre des anarchistes : "Crever le bourgeois !" et proteste ainsi contre la "garce de société actuelle qui gave les feignasses et les bandits de la haute". C'est d'une étonnante actualité...
Ce petit ouvrage publie le chapitre de l'excellent livre La Terreur noire (Jean-Jacques Pauvert, 1959. Réédition L'échappée, 2008) où André Salmon relate, dans un style flamboyant et débridé, l'entretien qu'accorde au journal Le Temps le jeune Léon Léhautier, cordonnier instruit, anarchiste posé et heureux qui trace sa vie d'homme "sans rancune", venu à la violence révolutionnaire (la "propagande par le fait") simplement pour répondre à la violence des injustices sociales d'une Belle époque qui ne l'était pas en vérité. Bien entendu, ses propos limpides et radicaux déstabilise le catalogue d'idées reçues du journaliste de l'organe de presse capitaliste...
Une déstabilisation reprise à son compte par Nurse With Wound dans le mini CD qui accompagne le livre, comme un écho subjectif à la fois du grand style de André Salmon et de la radicalité pure (comme il est dit) de Léon Léhautier. Close to you (initialement publiée dans The Surveillance Lounge, CD Dirter, 2009) est une pièce composée dans une dynamique hybride parfaitement maîtrisée (comme un nœud de musiques concrète, classique, ambient et industrielle injectées dans une narration typiquement radiophonique). Une musique sombre où virevoltent et se bousculent voix et pâleurs spectrales avec une violence sourde et qu'on peut envisager comme la bande-son des injustices qui ulcèrent Léon Léhautier et des "crimes" qu'elles engendrent. Bref : c'est une association plutôt réussie ! "Un beau désordre" dirait Léon...
Signalons au passage que les livres de Yves Frémion Léhautier l'anarchiste - De la propagande par le fait à la révolte des bagnards (L'échappée, coll. Dans le feu de l'action, 2011) et de André Salmon La Terreur noire (L'échappée, 2008) sont toujours disponibles, beaux et indispensables. Hop !

Anthologie "La baignoire d'Archimède. Anthologie poétique de l'Obèriou"

Anthologie - La baignoire d'Archimède. Anthologie poétique de l'Obèriou
(Circé, 2012)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici


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Extraits :

Daniil Harms

Le lai de Piotr Yachkine le communiste

     Chassant les toises à grands pas
     nous volions au dernier combat
     nos lances s'étaient émoussées
     nous faisions halte autour d'un feu
     sous nos pieds les fleuves séchaient
     et nous hurlions : rattrapons-les !
     hautes épaules disloquées
     gueules blanches et affûtées.
La route c'est pas un foulard
un fusil ça s'aiguise pas
comme des flèches nos regards
suivaient les verstes au galop
tel qu'un rideau tombaient le ciel
derrière les pins les bouleaux
les pierres sautaient dans la pelle
la lune est pire qu'un soleil.
     Combien de temps je sais pas trop
     nous avons traqués les chariots
     les jambes en pâté de foie
     la bouche crachant de l'écume
     les yeux vidés de toute vie
     la mousse nous étaient comme un lit
     mais nous disions hardi les gars
     que personne ne reste en arrière.
Chassant les toises à grands pas
nous volions au dernier combat
au dernier combat nous volions
! s'il faut crever eh bien crevons !
C'est tout
1926

*

pour ne pas rire face aux balles
cachons la face en un tonneau,
les nuques s'en fichent pas mal
le chœur des piques est leur lot.
et avec un rictus le foie
entre les tombes ressuscite,
Achille vibre et se déploie
au-dessus des morts comme un bolide.
marchand de sable le serpent
bâfre maison fusil et soc,
et hache en main, en tournoyant,
Barbara vole avec sa toque.
rire nous saurons l'éviter
assis au fond d'une barrique
et quand tu seras oubliée
vers toi nous revolerons bien vite.
et lors nous boirons ivres morts
et lors nous rirons haut et fort
C'est tout
1930

*

Vous m'emmenez avec un bandeau sur les yeux.
Je ne marcherai pas les yeux bandés.
Enlevez le fardeau et j'avancerai seul.
Ne me tenez pas non plus les mains,
je veux que mes mains soient libres de gifler.
Ecartez-vous, stupides spectateurs,
je vais me frayer un chemin à coups de pieds.
Je passerai sur une seule planche sans chanceler,
je courrai sur la corniche sans tomber.
ne vous mettez pas en travers. Vous le regretteriez.
Vos yeux de lâches dégoûtent les dieux.
Vos bouches s'ouvrent hors de propos.
Vos narines ignorent les arômes vibrants.
Mangez votre soupe, vous y êtes à votre affaire.
Balayez votre chambre,
                              c'est votre lot depuis des siècles.
Mais retirez-moi ces bandages et ces sangles,
je me nourris de sel, et vous de sucre.
j'ai mes propres jardins et potagers,
et c'est ma propre chèvre qui y broute.
J'ai dans ma malle un grand bonnet de fourrure.
Ne barrez pas ma route, je suis mon propre maître,
            et vous n'êtes pour moi que le quart d'une fumée.

8 janvier 1937

*

Alexandre Vvédenski

Le discours de Thomin

Messieurs, messieurs,
tous les objets, chaque pierre,
poissons, oiseaux, chaise et lumière,
montagnes, pommes, eau et feu,
frère, épouse, lion et père,
mains, millésimes et visages, fléaux,
la guerre et la chaumière, l'ire
et le souffle des fleuves horizontaux,
l'homme pauvre d'esprit a tout inscrit
dans ses tablettes et tableaux.
On a créé la chaise, mais pourquoi ?
Pour que je m'y assoie
et boive et dévore de la viande.
Si comme par enchantement un fleuve fut tracé ici,
nous pensons que c'est pour remplir notre vessie.
Si l'on a créé les cieux,
c'est pour qu'aux miracles la science s'exerce un peu.
Même chose pour les montagnes viriles,
les fonctions, le brouillard et la mère.
Si nos conversations peuvent déplaire,
Il faut d'abord les comprendre, vous les imbéciles.
Messieurs, messieurs,
voici devant vous l'eau qui s'écoule
et fait à son insu des dessins.
Là-bas, sous un buisson, les années s'enroulent
et parlent de leur propre destin.
Là-bas la chaise se change en victoire,
la science est un milieu, un miroir,
bêtes et grades, maladies et crimes
nagent comme des lignes dans l'abîme.
Le Roi du monde Jésus-Christ
ne jouait pas au vingt-et-un, ni au whist,
il ne frappait pas les enfants, ne fumait rien
et n'allait pas au bistrot du coin.
Le Roi du monde transformait le monde,
c'était un chef d'équipe descendu des cieux,
et nous étions tous pêcheurs à la ronde.
Nous sommes aujourd'hui risibles, ennuyeux.
Et après la mort, dans notre rotation,
la métamorphose sera notre seule rédemption.
Messieurs, messieurs,
voyez, toute la terre est eau,
voyez, jours et nuits sont un flot.
le grand prêtre volant sort de sa guérite
et voit avec horreur tout ce qui advint après,
la mort qui n'est plus qu'une écume insipide.
Aïeux et père fondateurs, êtes-vous satisfaits ?

(1930-1931)

*

Nikolaï Oleïnikov

Charles Darwin

Charles Darwin, un savant fameux,
Capture un jour une mésange.
Il l'observait de tous ses yeux,
Frappé par sa beauté étrange.

Il voit sa tête de reptile,
Sa queue de poisson sans écailles,
Ses mouvements de souris fébrile,
Ses pattes comme des étoiles.

"Tiens, tiens se disait Charles Darwin,
Tu es très complexe, l'amie.
Près de toi, je fais piètre mine ;
Petiote, mais quelle harmonie !

Non, la nature notre mère
Ne m'aura pas gâté du tout.
Pourquoi me refiler ces joues vulgaires,
Ces talons vils, cette poitrine en roue ?"

... Et le vieillard sanglota de dépit,
Il voulait même se flinguer !
Darwin un savant fameux, oui,
Mais il lui manquait la beauté.

1933

*

Nikolaï Zabolotski

Poprichtchine

Quand le vent balance les croix
Et le gel s'empare des rues,
Gogol insensé de ses doigts 
Dessine des rêves bossus.
Et transi, raidi par l'hiver,
Par l'angoisse qui sans fin rampe,
L'effroi a fait rouler ses pierres,
Et le vent fusille les tempes,
Le vent arrache la pèlerine,
Fait sauter la neige et fulmine,
Mais soudain désarticulé
Se couche - docile - à ses pieds.
Cette puissance, d'où vient-elle ? 
Ce n'est pas un démon, mais lui :
Poprichtchine ailé de sourcils,
Visage tendu vers le ciel.
Tourne dans les bureaux, ô vent,
Répands les plumes en torrent
Et ouvre un éventail de nacre
Pour que l'Espagne le consacre.
Et recouvrant les champs natals
Avec sa mantille lilas,
Séville bruyante dévale
À la rencontre de son roi.
Lui, fleur subtile et décharnée,
Ses yeux martyrs pour seul éclat,
Se dresse...
              ... La nuit est retombée.
Un lit, les gardiens, le matelas,
La blouse entaillant les aisselles,
Medji qui geint comme un dément,
Et au carreau l'aube encore frêle.
Flagelle les bureaux, ô vent,
Couvre les rues de neige dense
et enfouis-y profondément
Le coupé de Son Excellence.
Fouette les entrées, les colonnes,
Piliers et arches de béton,
Arrache les galons, éperonne,
Sous la neige enterre les ponts.
Et bras tendu le vent s'élance
En hurlant dans les cheminées,
Les monstres neigeux sur ses traces
De toit en toit ont déboulé.
Voici
Qu'aux clochers
Ils s'accrochent,
Puis s'engouffrent
Dans toutes les cloches,
Se couchent dans les embrasures
Et vont de pâture en pâture
Là où, dans sa dernière audace
Affrontant l'aveugle ouragan,
En blouse blanche se balance,
Le visage mort,
Ferdinand.

1928

*

Sur la mort méditant hier,
J'ai senti que mon âme se durcissait.
Triste jour ! La nature millénaire
Me fixait au cœur sombre des forêts.

Et cette désunion, comme un tourment inouï,
M'a transpercé le cœur. Alors en un éclair
J'entendis tout : le chant des herbes dans la nuit,
Les paroles de l'eau, le cri figé des pierres.

Et, vivant, j'errais au dessus des sentes,
J'entrais en forêt sans effroi,
Et les pensées des morts, colonnes transparentes,
S'élançaient vers le ciel autour de moi.

Et la voix de Pouchkine montait du feuillage,
Les oiseaux de Khlebnikov chantaient près de l'eau.
J'aperçus une pierre inerte. Et le visage
De Skovoroda y parut bientôt.

Et tous les peuples, toutes les créatures
N'avaient jamais été taris,
Et moi je n'étais pas l'oeuvre de la nature,
Mais sa pensée ! mais son mouvant esprit !

1935-1936

*

Igor Bakhterev

Le petit vieux qui se (sus)pendit en guise de lustre

Doucement dans ma chambre les portes s'ouvrent
Doucement dans ma chambre des petits vieux s'engouffrent.
La rumeur de la brise à la fenêtre ouverte
Par la fenêtre ouverte les voix des concierges.
Et à pas de loup les petits vieux se glissent vers la fenêtre
En tirant de leur poche des petites cuillères
Et dans ces cuillères sont assis des moineaux
Petits oiseaux à longue queue et au visage rigolo.
Voici qu'un moineau vole en petits cercles égaux
Et en volant il gazouille des paroles d'oiseau :
Nos zézoles c'est pas pour vous
Vos durs sols c'est pas pour nous
Comme des vrimes nous voulons zoler
Nous ne vous laisserons pas désailer.
Un petit vieux alors
S'est mis à voler derrière le moineau
En agitant sans cesse sa cuillère là-haut
Mais après trois petits tours trop fatigué
À un crochet du plafond le petit vieux s'est agrippé.
Comme un lustre il restait suspendu pendant des heures
Sous sa moustache dormait le moineau gazouilleur.
Plus de voix de rumeur à la fenêtre le silence
Doucement dans ma chambre le petit vieux se balance.

1930

*

Nikandr Tiouvelev

Le livre des réclamations

Je demande au vingt-et-unième
rien qu'une miette de pouvoir.
Je ne rougis pas, ne tremble pas même
face à Nastia, cloué sans voix.
Aujourd'hui tu es le maître ou l'aurore.
Je sifflais autrefois
Mais j'ai compris tes entrailles
Et le pouvoir des gestes.
À l'unisson de tous je vivais
et je me souviens de vingt batailles,
d'un neuvième siècle aussi
et d'un seigneur maître
qui s'appelait peut-être Oleg.
Moi le mentor des cieux
on m'a nourri de poule mouillée
et d'Anatole et de Biedny.
Cette ville était comme une forêt,
moi le maître des eaux
on m'a nourri d'une bouillie rouge
et mes élèves de fers à repasser...

+

Vous avez tellement changé
comme moi soldat de la beauté
qui allait mettre en harmonie
la raison et le rocher,
moi dont les mains en fusil
voulaient hisser au ciel les hosannas
moi dont la voix en fusil
avançait tout droit
                              pour cela
moi qui divinement agitais
                              les mains
                              pour cela
qui voulais avoir affaire aux dieux
                              et non pas à des porcs
                              pour cela.

1933 ?

*

Konstantin Vaguinov

Je cours dans la nuit hérissée sur la route de Finlande.
La Russie n'a jamais existé : rien qu'un délire coloniale.
Là-bas, à l'intérieur, la terre hurle en effervescence,
L'homme couvert de poils et bestial se dresse sur ses jambes.
Nous sommes l'étrange alluvion des pays étrangers,
Nous sommes les maîtres et les princes du ponant.
Pourquoi sommes-nous nés dans un pays au sang féroce,
Où les hommes dans leurs yeux ont une aurore immense.
Je n'aime pas l'aurore. Je préfère sifflements et tempêtes,
Le sifflement de l'automne et celui du désespoir.
Laissons Bethléem scander et chanter la Vie Nouvelle!
Je suis tout envahi de vagues païennes.
Epaules anguleuses et obliques,
Visage éteint sur le crâne -
Orphée, mon archétype lointain,
Vogue parmi les collines qui fondent dès l'aube.
Un Apollon de bronze sonore
M'a fait don du fer : mes yeux, ma volonté.
Et voici que tel un loup je cours en rase campagne,
Et voici qu'en mouton j'erre dans les villes.
L'héritage d'Optyno aridement somnole.
Nectaire entre dans le jardin du monastère.
Soleil grêlé. L'air sent la cerise.
Les peintres couvrent d'encens le Crucifié.
Il y avait la Russie : celle des églises et cimetières,
Des terems secs et carrés.
Puis l'homme s'est tu, les flots cinglent la rive finnoise,
Et une lune provinciale se balance.

1922

*

Nous sommes les derniers débris de l'Occident,
Pays des Isbas de planches et des tempêtes asiates.
C'est le destin d'Ovide que nous traînons dans la demeure...
- Sois courageux, vieillard, je vais te soutenir.

Et de laisser tomber le vieux. Canal de dérivation.
Paisible la lune, paisible l'eau au-dessus de lui.
Je suis un suicidé. Mais le vent de sa soie légère
A effleuré mes joues, et s'éloigne en tintant.

18 mars 1923

*

Guennadi Gor

Gogol et Pouchkine

Voilà  que Gogol s'est assis.
Voilà que Pouchkine s'en vient.
Un cerf a bondi hors de la forêt.
Et un soleil d'enfant court en sautillant.
Et la nounou s'est enlisée dans la neige.
Voilà que Pouchkine s'en vient.
Voilà que Gogol arrive.
Et la nounou s'est changée en eau
Qui s'écoule de la montagne.
Les canards y nagent et plongent.
Les oies volent, le cou tendu.
Voilà que Gogol s'est assis.
Voilà que Pouchkine s'en vient.
Et la nou nou s'est changée en cerf.
Qui tantôt bondit hors de la forêt.,
Tantôt se met à fondre, comme un son.
Et Gogol écoute
Le matin et Pouchkine qui jouent du pipeau.

août 1942

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Quelques Obèrioutes :

 Daniil Harms

Konstantin Vaguinov

 Alexandre Vvédenski

Nikolaï Zabolotski

Une anthologie établie, présentée, traduite par Henri Abril. C'est un important travail de fond (avec chronologies, notes de traductions, historique, etc) grâce auquel on apprendra presque tout ce qu'il faut savoir sur l'Obèriou, dernier éclair (1927-1931) de l'avant-garde russe dont les membres, tous d'une étourdissante liberté (politique, formelle, stylistique, etc) furent sans cesse menacés et censurés par le pouvoir stalinien qui n'aimait pas beaucoup le génie lucide et ironique de ces jeunes gens "du monde concret, de l'objet et du mot concrets". Ils seront littéralement décimés (déportés, exécutés, internés...) lors de purges successives. Ah c'est sûr, c'est pas du petit scandale pépère sur le boulevard Saint-Germain, ni les petites bagarres de claques au Vieux Colombier. Des vrais ennemis quoi ! Convient aux enfants de 1 à 88 ans pour qui "la poésie n'est pas de la semoule, qu'on avale sans mâcher et qu'on oublie aussitôt".
Avec cette autre anthologie Des Hommes sont sortis de chez eux (Christian Bourgois, 1997), voilà de quoi rebondir vers les chefs-d'oeuvre fascinants qui ont été publiés depuis leur redécouverte assez récente finalement (d'abord chez Christian Bourgois puis chez Allia ou Verdier par exemple) et d'aller fouiller partout chez ces zaoumiens de russes.
C'est tout
(Hop!)

Didier Calléja "Je dors" (les inédits)

Didier Calléja - JE DORS

Je ne sais pas pourquoi je dors. Peut-être pour oublier de vivre. A dormir : on vit peut-être plus dans la vie que dans la mort. Peut-être que c'est une petite mort de la vie dans le sommeil. Je dors. Je ne sers qu'à dormir. J'ai toujours rêvé comme tout le monde de ne plus vivre mais pas de mourir. Juste crier dans les rêves parce que crier dans la vie ne se fait pas. Dormir c'est sain. Dormir ne dérange personne. Il suffit de dormir pour voir que tout le monde s'en fout : ils disent "laissons-le. Il dort". Alors dormir c'est sain. Ça ne dépense pas une thune. Ça ne violente personne. On ne regarde pas la télé quand on dort. Juste son propre film. Il passe et il repasse toujours différent. Le film qui passe quand on dort ne coûte rien. Il n'exclut personne. Il en invente des gens. Des filles. Des gars. Toujours en accord avec le rêve même s'il y a des morts. Le rêve les fait revivre. Il n'exclut personne. On est spectateur et en même temps acteur de son propre film. On se voit dedans sans interférences. Sans références que sa vie passée. Le rêve invente le futur même pas imaginé. On vit pour dormir 90 % de la vie. Dormir c'est ça être vivant : pouvoir dormir sans gêner personne dans un lit ou dans la rue. Dans la rue dans le lit personne ne nous entends crier. La mort de l'autre comme une libération pour soi. Comme si on avait été moins on aurait put vivre mieux. Les morts on les considère bien. On les envoie dans les fleurs à  morts. Ils ne vieillissent pas : on les entends encore quand ils sont morts. Qu'on est usagé. Qu'on a plus court. C'est pas finit l'usage - l'usinage dans la mort ! Surtout quand ils sont morts ! On garde d'eux le mieux de la vie dans la mort. On se cercueil d'eux on se sert d'œil-de-mort pour voir la mort par le tout petit trou de la vie qui meurt. Alors on meurt. On se meurt. Tout seul. Pour essayer de vivre. D'autres grandissent. Certains vieillissent. D'autres encore n'arrive même pas à l'âge de deux ans. Vivre c'est fatiguant c'est douloureux. Ça atteint les nerfs de mourir en vie. La vie c'est un monstre qui mange tout de la vie. Tous les jours. La vie c'est une catastrophe. Il n'y a rien à manger en soi. Faut s'acheter du pognon au prix de l'esclavage. On est lobotomisé par la vie par la morale et les devoirs. Les déviances sont interdites. On nous suspend. On nous enferme. Il n'y a plus rien de la vie dans l'isolement. Plus rien de la vie dans la souffrance. Plus rien de la vie dans l'enfermement. Mais il est trop tard pour mourir. Parce qu'on vit plus alors quand on est enfermé suspendu au-dessus de la vie. Alors vaut mieux dormir. Garder ses idées. Regarder SA télé. Dans SES rêves. Dedans qui défilent les images. Pour SOI. Pour laisser le reste couler des vagues perlées le long de ses joues. Pour se sentir déjà des larmes. C'est pas mal déjà. C'est pas si lame de rasoir que ça quand on sait qu'une lame peut servir à raser le rasoir dans le tranchant de la réalité de la vie. La lame est une trouée dans la réalité. Il faut trancher : alors dormir ou vivre ? Il n'y a pas le choix. Pour rester un temps soit peu. Un tout petit temps. Presque rien de temps. Car tout bizarrement s'annule tout le temps. S'annule tout le temps comme il faut toujours tout recommencer comme des enfant à qui il faut dire tout le temps la même chose. Qu'on arrête pas de ressasser toujours la même chose. Que le bonheur est un truc qui se ressasse. Qui se repasse. Bonheur rapace dans le tranchant du bec : troue le ventre. Comme un film. Jamais acquis. Qui ne sort pas de la bête. Un truc qui tourne en boule qui fait  boule qui fait tout bouler tout ce qui se dit en passant par les mêmes redites. De toute façon c'est toujours la même conclusion : il n'y a pas de sortie. Il n'y a même pas de porte. Juste une clé dont ne sait pas comment la faire pénétrer. La clé n'est pas la sortie. Juste une sorte de talisman. Qui ne sert qu'à broyer le reste de sa vie à essayer de sortir pour toujours au delà de la vie au delà de la mort. Temps de temps à broyer tant de gens tant de cons tant de mots qui tendent vers un absolu de la mort : la mort verticale. A l'horizontalité de la mort : c'est de la vie couchée dans la mort allongée à dormir vers l'horizon à l'horizontalité. Il n'y à qu'une vie après tout quoi s'en foutre. N'y a-t-il qu'une seule mort pour toutes ses angoisses ces enfouissements de peau de peu de soi pour rien ? En définitif pour rien ! Tout pourrit à la fin ! Pour une seule fin ! Quand tout s'arrête qu'il ne reste plus rien même la vie ne donne rien : elle épluche constamment millimètres par millimètres le peu de peau le peu de sang et d'eau qui reste à jaillir comme un infime espoir de voir jaillir quelque chose de quelque part. Comme si c'était possible : un jaillissement de soi. Une immolation pour se sentir au chaud dans sa dernière danse avec la vie. L'immolation verbale. Jouer au feu. Avec le feu. La flamme du "savoir se faire prendre d'être né". Pris au piège. Prisonnier dès les premiers jours. Retour à la sale caboche défoncée par la fente. Retour au prépuce du trou. Jongler avec les ovaires. Les transformer au pire les voir jaillir. Les reformer. Réformer les ovaires. Transformer la vie comme seule et unique conscience d'exister. Un peu pour pas grand-chose. Juste un tout petit instant. Un petit rien qui se détend le long du fil du rasoir. Prêt de ce tranchant des veines. Prêts à se boire de son sang pour revivre indemne de la vie.

Didier Calléja, 2015

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Photographie : Valérie Jacquemin

Didier Calléja (alias Didika Koeurspurs) est un artiste en excellente forme physique. Il le faut pour réaliser des performances, de la poésie sonore, des concerts, de la danse, du théâtre, des drôles de machins visuels, des livres à la main, des films, des résidences, des ateliers en milieux carcéraux ou psychiatriques où peu se donnent la peine d'aller. Seuls quelques soldats noirs...
En période creuse, il vous propose également des services d'utilité publique : Donneur de leçon. Promeneur de chien. Donneur de claque. Crever les pneus du voisin chiant. Propositions de rêves. Garder votre sommeil pendant que vous dormez. Faire le clown en privé. Faire don de ses poils pour les imberbes. Amour à vendre moyennant conditions amoureuses. Fabrication de bonheur momentané. Prendre votre identité pour toutes sortes d'occasions : réunion chiante, école, collège, lycée, rendez-vous de merde... Apprendre le Zimbabw à vote place. Pisser à votre place. Boire, manger, fumer à votre place. Vous Prendre du temps. Garder votre calme. Vous aimer. Vous Gagner du temps. Prendre le large pour vous. S'inviter pour faire foirer une fête ou un anniversaire. Rêver à votre place (et ainsi vous raconter les rêves que vous désirez). Conduire votre voiture. Penser pour vous (pense-bête & méchant). Remplacer votre mari défaillant. Bloc-notes. Casseur d'assiettes (pour exorciser la colère). Casse-pieds (quand vous avez le fisc sur les talons). Faire votre ombre même la nuit et surtout quand il pleut. Casse-tête. Participer au film de votre vie, sous scénario convenu d'avance. Remplir votre fiche d'impôt, de RSA, de Banque, faire les démarches nécessaires à votre mort. Prendre votre place. Faire Charlie. Participer à renforcer la couche d'eau Jaune. Discuter avec vous quand vous êtes tout seul (il suffit d'appeler sur son numéro. Mot de passe : 51). Etre : Mathias Richard, Charles Pennequin, Alain Faure, Cécile Richard, Jessica Dore, Germaine Tillion, Laure Della-Flora, Socrate, Lauren Rodz, Max Horde, Régina Blaim, Julien Blaine, Thierry Rat, Antonin Artaud, Gérard Lepinois, Gaston Lagaffe, David Bowie, Joel Hubaut, Karl Marx, Manu Morvan, Satrape Mandragora, Jean-Louis Costes, Jean Voguet, Lilie Kitsh, Laurent Cauwet, Laurent Klajnbaum, Antonella Aynil Porcelluzzi, Thomas Pailharey... Toutes propositions bienvenues et acceptées moyennant rémunération ou échange, selon principe de solidarité.
Pour en savoir plus sur Didier Calléja : Tumblr, Scoop, Youtube, Soundcloud, Tapin². Hop !

Thierry Weyd "La vallée des dinosaures"

Thierry Weyd - La vallée des dinosaures
(Les éditions de Garenne, 1991)

Reproduction intégrale de la plaquette publiée par Les éditions de Garenne.

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Thierry Weyd (Lincoln, Nebraska, 1885)

Depuis longtemps déjà, Thierry Weyd bidouille une oeuvre transversale, largement expérimentale, qui s'apparente à un intemporel cabinet de curiosités. Curiosité qu'il a insatiable et qui investit de nombreux champs : l'édition (il fonde en 1985 les éditions Cactus, publiant une multitude d'objets hybrides), les dispositifs audiovisuels (le très fameux Théâtre des opérations), l'écriture de nouvelles et de bribes poétiques (le petit livre présenté ci-dessus est exemplaire de cette pratique très - trop - discrète), la diplomatie (il est le représentant français des royaumes d'Elgaland-Vargaland), la conception d'objets pratiques (exemple : la knock box, destinée à recevoir le marc du café expresso, conçue avec Pierre Magnier), la création de pièces radiophoniques (exemple : le magnifique "hörspiele" Du fond de l'abri, réalisé avec Gabriel Doguet, en partie conçu avec Le journal d'Albion Moonlight de Kenneth Patchen), l'organisation de concerts (Les après-midi d'Albion, entre autres), l'enseignement... mille autres choses encore qu'on assemblerait en s'amusant dans tous les sens pour chaque fois découvrir des mondes apocryphes, des univers presque magiques, désuets, intimistes, mélancoliques, parfois hantés, où le banal est transfiguré en mystère. Oui, on vous le dit, c'est un drôle de fanfaron...
Cette petite plaquette est typique à la fois du travail de Thierry Weyd et des publications photocopiées, pauvres et belles, qui fleurissent depuis les années 80 (Hercule de Paris, S.U.E.L, 666, Vr/so, Electre, Voluptiare Cogitationes, Blockhaus, Cahiers de Nuit, Les Contemporains Favoris, Model Peltex, j'en passe !) dont l'esprit influe toujours et perdure parfois difficilement (mais brillament, par exemple autour de l'Armée Noire). Les éditions de Garenne furent fondées par Christophe Petchanatz, qui s'y connaît en oeuvre tout terrain puisqu'il est musicien (Klimperei, Totentanz, Los Paranos...), écrivain (Les Alfreds, Jean-Pierre Huguet éditeur, 2007. Hon, avec Ivar Ch'vavar, Le Corridor Bleu, 2009. Entre autres...) mais encore photographe, dessinateur... Au cours de sa brève existence, cette honorable maison underground (les vulgaires nomment cela de la "micro-édition") publia des livres de Nadine Agostini, Dominique Quélen, Jacques Abeille, Sylvie Nève, Alban Michel, Philippe Pissier... et de nombreux autres avant même que les éditeurs plus établis ne daignent jeter un seul oeil sur leurs manuscrits. Pas mal, non ?
Voilà... deux garants d'un esprit (farceur et volubile, intransigeant et généreux) bien éloignés des chapelles ! Hop !

Gaston Criel "Popoème"

Gaston Criel - Popoème
(Les éditions du Chemin de fer, 2015)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici



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Extraits :

Je me hais


  Je me hais quand le jour se lève, les conneries commencent... la vie longue - la mort brève - qui l'eût cru pour un handicapé de la langue - borborygme - pouic ! prix fruits et légumes - EDF/GDF - hypermarché - sécurité sociale - S.S. - S.A. - Bébé - grand-mère - voilà empêtré dans les matricules, les factures, les chiffres -
  Pâte dentifrice - savon - shampooing longueur de pointe - horaire - usine - bureau - chemin long qui va du soleil à la lune - les variations de température - du berceau au linceul - de smaths au boulot - du pantalon éléphant au froc tuyau de poêle - la ligue maritime et coloniale française - qui n'y est pas "mauvais français" - la maccarthysme - le soviétique - le racisme "touche pas à mon pote" - le bon soldat - le harki - le collabo - le résistant - le péché - le saint-père-le-pape - Staline - Mozart - Armstrong - Les Beatles - le rock - les émois - le sida ... ça va, toutes directions, les hippies, les punks - on ne sait plus où on en est ! Retenez vos moutons de l'azur, la langue des Muses, les lignes minuscules de la police d'assurance, l'eau chaude au quart de tour, le linge propre qui se salit tout le temps, qui s'enrhume dans le vent, le vent doux des douceurs, le vent dur qui gueule, les yeux deux qui pluerent, les amours qui tombent à la poubelle, la marguerite des seins frais, les menstrues, les orgasmes, les intestins qui se bouchent et se débouchent, les dents cariées, le teint rose qui va vers le gris, les grands écrivains qui écrivent pour ne rien dire, qui occupent le temps pour parler de la pluie et du beau temps qui n'en ont rien à faire puisqu'ils circulent en roue libre sans s'occuper des saisons, des heures, du calendrier, des mille métiers qui se bousculent pour gagner la vie perdue en activités creuses, les grands jules et les culs qui se succèdent à longueur d'écran - les parents qui ne comprennent pas les enfants, les enfants qui ne comprennent pas les parents, la vie qui gonfle et ne sait plus où placer ses détritus. Tout dégoûte, tout amuse - les rues mortes, les places pleines - le chômage et la surproduction - le crève-la-faim et le super-nanti, les raviolis, les fonds de gamelles pour les bas-fonds sans fond - les stars qui puisent le pognon dans la poche des béats babaches - le cirque permanent de la vie qui nous leurre - le rêve du rêve qui s'achève sous la racine des pissenlits - le passé, l'avenir, le style, la mose qui passe avec les passants des ans - les objets - les objeux - un homme, une femmes, ses enfants, son auto, sa moto, sa télé - ce n'est pas assez - un chien, un chat, de spoissons - l'art du lard pour nourrir la culture qui ne comprend rien de ce qui arrive àceux qui vivent entre poire et fromage oubliant les chansonnettes des derniers poètes - l'écran, le journal, le bruit, le silence de la nuit qui s'éveille, le lendemain, le jour se lève les conneries commencent - la vie est belle quand elle n'est pas triste - l'escalier roulant porte les pingouins de magasin en métro, de métro en bistrot - on boit, on mange et ça recommence pour occuper les boyaux, les doigts du temps qui file ses perles pour les yeux qui ne voient que du feu - prennent les vessies pour des lanternes - les discours pour évangile, l'évangile pour paroles qu'ils ne croient pas - ça change ça bouge et ça change ça bouge plus ça recommence c'est du pareil au même sous papier cadeau -
  On se trouve avec son sac d'os dans l'emballage de peau qui ne sait où poser les gants - Ainsi on n'en finit pas d'en finir à se gratter la cervelle et l'onpense que plus on cherche à comprendre - Shakespeare et le poète bouseux - Molière et le déconneur du coin - l'écrivain public et le baratineur de mes deux - ma tante à bafouille et mon oncle branleur - le novateur pompier - le pompier de l'avenir main dans la main à la galerie Jobardat - le rigolo qui pète plus haut que son cul - le cul encombré des merdes orphiques - les putes Eurydistiques à la recherche d'un barbu à senteurs poétiques - le sac à provisions de blouseries nouvelles pour arroser les plantes du Crédit Universel - le pauvre mec qui se crève le cul pour engraisser le compte en banque - la banque qui achète la dernière connerie en sponsor - l'ayant droit qui a droit de fermer sa gueule - carrousel du samedi où nana va se faire enculer en pensant à la fin du mois que c'est excellent contre la constipation dit le médecin qui en a marre des gens qui geignent pour des points le lundi matin fatigué au point qu'il (le médecin) aux clients, leur mettrait bien le poing sur la tronche et se débarasser vitos des jérémiades après avoir empoché le pognon - au revoir, messieurs, mesdames, merci beaucoup - c'est toujours ça depris - et qu'on en a rien à foutre du plaignant souffreteux que son chèque - passez la monnaie, ça roule tous azimuts - en liquide - en solide, en blanc - noir - l'argent blanc vaut l'argent noir - jaune - café au lait - ou teint caca - rien à foutre du racisme - Vive la Banque de Frane ouvrez les cuisses du tiroir-caisse - enfoncez ça profond - pièces et billets - tout est bon pour la rue des finances qui baratine le gagne-petit - le bilieux - bigleux - l'envers et l'endroit - celui qui l'a dans le cul comprend tout de suite sa douleur - faut pas s'appeler Polytechnique pour comprendre !
  Sacrilège ! Effacez-moi ça ! - Mais non - mais non - pas question - on a besoin d'air neuf - d'écriture blanche - OMO donnez nous des lettres lavées à basse température ! Ah oui ! mais si c'est pas saignant c'est ramollo - on voudrait de la bave entre les lèvres - du tableau au goût du jour - du sperme rock - de le vulve look qui ne repassera plus - triste nouveauté ancienne à remplacer tous les ans - Remplacer quoi ? la connerie qui se lève chaque jour - limonade - menthe à l'eau et vaseline

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Les enfants qui prient

Je te verrai toujours, Ninon
et ton ventre en pointe 
à la terrasse du Mabillon ;
ton ventre plein du petit enfant 
ton ventre vide qui avait faim
ton ventre disloqué, distendu
chahutant de son foetus trébuchant.

Ninon, je te verrai toujours
à la terrasse du Mabillon
mendiant une cigarette
ou un morceau de pain.
Ninon, Ninon,
les ventres pleins crient famine
des enfants en famine
dans le ventre de leur maman.

Par pitié, écoutez les enfants de la famine !
Délivrez-nous du mal
délivrez-nous du monde,
laissez-nous au ciel de notre mère,
notre mère qui est sur terre
notre mère qui implore le père
de ne plus enfanter la misère.

Laissez mourir dans le ventre de la mère
les enfants qui crient misère :
les enfants du chômage,
les enfants des mansardes,
les enfants de la patrie,
les enfants pour les cimetières.

Laissez mourir les enfants dans leur mère
qu'ils ne soient jamais père,
qu'ils ne soient jamais mère
et que finisse le gros foetus de la misère
qui sanglote dans les ventres de la faim.

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Vaguement marginalisé, légèrement égaré, Gaston Criel (1913-1990) le révolté crache encore ! Une réédition bienvenue (et bien faite) de cet ensemble vif, violent, noir, obscène, cru, brutal, méchant, généreux et tendre, mélancolique, profondément anar sans doute, initialement paru aux éditions du Rewidiage en 1988.
Parce que c'est bien écrit et que ça dit bien mieux que nous ne le ferions tout ce qu'il faut savoir sur Gaston Criel pour exciter la curiosité, relire ce texte de Eric Dussert, initialement paru dans le magazine Le matricule des anges. Pour le reste, qu'on cherche !

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Le rag, le stomp et Gaston Criel
Poète et romancier féru de jazz et de p'tites pépées, Gaston Criel a vécu cent métiers. Ses livres inclassables et beaux n'attendent que d'être réédités.
"C'est pour le souvenir de Noël Arnaud, écrivait Gaston Criel en préambule de Saint-Germain-des-Prés. Les décombres (Rewidiage, 1995), et par la même occasion à l'ombre de bien d'autres, que nous allons parler du Moyen Âge". Du Moyen Âge, vraiment ? Cet âge enfoui pas si lointain, c'est pour Criel celui de l'épanouissement de Saint-Germain-des-Prés, celui de l'insouciance et du jazz : be-bop, rag, stomp, les rythmes chahutent enfin. Avec Boris Vian, le Tabou, on connaît la chanson. "Quand on se penche sur ces années, on pense à une équipe de boys-scouts (avec) un appétit de vie nappé d'un parfum de Nausée et d'un zeste de Paroles. Sartre dans la main droite, Prévert sous le bras gauche. Mais ce stock en frime était bien peu lu." Léo Ferré chante ses premières chansons, James Baldwin, Adamov et Genet prennent un verre au Royal, on peut croiser Camille Bryen, Wols ou Adrian Miatlev, le poète qui visite souvent la chambre du 42, rue Bonaparte, 6e étage, louée par Gaston Criel pour le prix d'un paquet de Gauloises à Sartre lui-même le bail sera dénoncé par l'OAS, qui plastique l'appartement du philosophe au début des années 1960.Né à Seclin dans la Flandre noire, le 30 septembre 1913, Gaston Criel fut élevé à Lille, à la laïque, et y travailla comme vendeur, employé de bureau, représentant et étalagiste. Acquis à la Sociale, le jeune secrétaire de la section Littérature contemporaine de l'Exposition du Progrès Social organisée à Lille en 1939 sert du " Cher Camarade " à André Breton. Mais il est fait prisonnier en 1940, interné au Stalag XI A d'Altengrabow, près de Berlin, puis au Kommando 366 où il sert de garçon de ferme jusqu'en 1945, date à laquelle il parvient enfin à Paris. Durant l'Occupation, ses vers avaient fait impression dans Poésie 43, Fontaine, Confluences, Les Cahiers du Sud ou L'Éternelle Revue de Paul Éluard, qui écrivait à son sujet : "Ses poèmes vont à la vitesse des rêves. Ils en ont la couleur deux fois rêvée, sinon deux fois vue." C'est le même Éluard qui, en le présentant à Jean Paulhan, lui permet d'entrer chez Gide. Gaston Criel est alors un poète en devenir dont trois recueils ont paru : Amours (Lille, La Hune, 1937), Gris (idem, 1938) et Étincelles (Denoël, 1939), premières lignes remarquées d'une bibliographie qui ne demandait qu'à s'allonger.Personnage marginal de la vague existentialiste, Gaston Criel fréquente Tzara, Zadkine, combien d'autres. Dans sa piaule, il reçoit bienveillamment les marginaux et puis Jean-Paul Clébert, le jeune Frédérick Tristan tout juste arrivé de Labastide-Rouairoux, ou encore François Augiéras alors en quête d'un éditeur. Il le prend sous son aile et propose à Jérôme Lindon Le Vieillard et l'enfant qui paraîtra vite. De petits boulots en sorties nocturnes, Criel croise des sillages incertains, écrit beaucoup, toujours, et donne généreusement ses textes aux revues. C'est un homme d'amitiés et de littérature. Après un séjour à Tunis où il occupe un poste d'attaché culturel à Radio-Tunis, il rentre à Paris au moment de l'indépendance de la Tunisie et reprend le jeu du saute-mouton professionnel. Pour pratiquer son art, il est metteur en page, journaliste à Carrefour et au Parisien Libéré, publicitaire. En juillet 1951, il est embarqué pour proxénétisme parce que l'une de ses petites amies pratique à l'occasion. Il fait aussi le vendeur en textile, le marchand de caravanes, le vendeur de disques, l'employé de bureau, le laveur de carreaux, le barman, le portier de boîte de nuit. Si l'on en croit son roman le plus fameux, La Grande Foutaise (Fasquelle, 1952 ; Plasma 1979), c'est à ce poste pas trop cassant qu'il rencontre une Américaine aisée qui l'embarque aux États-Unis. Là, il s'imbibe encore du jazz dont il avait fait l'apologie dans un livre aussitôt acclamé par ses pairs, Swing (Éditions universitaires de France, 1948 ; Vrac, 1982 ; Est, 1988).Il y a tout lieu de penser que les oeuvres complètes de Gaston Criel paraîtront un jour. Dans quelques lustres peut-être, plus tôt si nous sommes chanceux. Elles paraîtront de toute manière, cela ne fait aucun doute pour qui a lu un peu ses pages dont les merveilles ne s'effaceront pas. Témoin Henry Miller, qui écrivait à son sujet : "C'est un langage vivant, plein de mordant et des sortilèges de la misère qui l'a produit". Témoins Bachelard, Breton, Cocteau, Picabia, Césaire, Mac Orlan, qui tous le saluèrent. Témoins les beaux livres percutants et inclassables que sont Sexaga (Plasma, 1975), Phantasma (idem, 1977), Circus (Vrac, 1981) et L'Os quotidien (Est, 1987), sans oublier ses poèmes. Témoin Charles Le Quintrec : "Gaston Criel, osseux et calme, qui parle de l'Amérique noire avec des majuscules... Criel connaît toutes les onomatopées du subconscient et toutes les astuces pour gagner du pognon... Il improvise comme Duke Ellington : ses poèmes sont serrés, comme des fruits d'automne qu'on doit cueillir sur l'arbre et qui se conservent. Son dernier livre, Swing, prouve qu'il aime suffisamment le jazz pour l'offrir aux profanes comme un bouquet de beauté. Ce qui m'attire en lui, c'est sa simplicité, sa gentillesse et la malice de son sourire." On n'attend donc plus que les Oeuvres complètes de Gaston Criel, frère humain des farouches, qui s'est éteint à Lille le 5 janvier 1990.

Eric Dussert (Le matricule des anges n°70. frévrier 2006)

Gil J. Wolman "Wolman et son double"

Gil J. Wolman - Wolman et son double
(LP Alga Marghen / Metamkine, 2015)




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Un exemple de Mégapneume, pour mémoire et pour le plaisir...

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 Gil J. Wolman.


Ce poème sonore inédit de Gil J. Wolman, daté de la fin des années 70 et publié à l'initiative de Yves Botz et de Frédéric Acquaviva est un évènement en soi. C'est en plus une de ses pièces les plus abouties (techniquement, c'est certain).
On ne présente plus Gil J. Wolman, artiste tout en "transversalité", dissident ou à la marge d'à peu près tout. On persistera à le découvrir et à s'en prendre plein la gueule, toujours. Pour cela, on peut s'aider des éditions Allia ici, des informations disponibles sur le site du cipM ici, du catalogue de la première rétrospective de son oeuvre qui s'est tenu en 2011 au MacBa ici (toujours à l'initiative de Frédéric Acquaviva. Note : les plus débrouillards et les plus courageux pourront choper la version française du catalogue bien nommé Je suis immortel et vivant...) et, comme toujours, de la page Ubuweb qui lui est consacrée . De quoi constituer un petit manuel de guerilla pour en finir avec les chefs-d'oeuvre... Hop !