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Patrick Beurard-Valdoye "Gadjo-Migrandt"

Patrick Beurard-Valdoye
Gadjo-Migrandt
(Flammarion, 2014)

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Extrait : 




le silence règne sur
le camp de vacances familial
que le murmure d'un ru en
contrebas de Loucka contrôle
à l'écart



parfois un cri d'enfant près de
la piscine puis son écho
aux parages des jouets oubliés
le rompent



une rangée de cabanes estivales
surplombe la clairière terrassée
à l'orée de l'obscur



le soir le soleil attendrit
les bungalows et l'herbe drue
que cernent une barrière en planches
et les conifères en rempart



il arrive qu'un passant pénètre
l'enclos sous le regard ahuri
des vacanciers mais il n'a d'yeux que
pour deux baraques d'un autre âge



le camp regroupait des travailleurs
itinérant la loi assimilait
les intermittents du travail
aux tsiganes nomades
la ministère régla la question de 
ses juifs noirs - ses asociaux -
en les bouclant là



Rroms et Sintis arrivaient au
camp de concentration par
trains noirs terminant à pied
vieillards et femmes enceintes
par voiture



aux baraques gorgées de gens
sans voyage on ajouta
leurs roulottes alignées
au ban de la foret



ils bâtissaient la route
cassaient des cailloux
la corvée d'eau dans l'affluent
de l'Hodonìnskà
était une brève évasion hors barbelés
la honte n'était pas autorisée



il faisait chaud
le matin du 21 août 
la bise adorable coulait sur le val
depuis plusieurs jours
les tsiganes pressentaient le pire
sans trouver mots pour le dire
rien ne donnait plus le goût de moravivre
car la vérité ne se dit bien qu'en
Rromani où VOYAGER se prononce
JA et MOT c'est la MORT



le silence de plomb fut rompu
par des ordres exécutés
les cris les appels des mères
les pleurs d'enfants les hurles
tout ce monde en aparté
forma un cortège en rang serré
vers le train spécial pour une
destination inconnue : SMRT
quelque part en Silésie
avec un Z tatoué sur le bras



dans la futaie achrome alentour
nul oiseau n'éveille l'oreille
les pommes de pins jonchent la terre
la fougère - les doigts du diable -
par endroit ranime la
gringolée où quelques trompettes
de la mort se dessèchent



les rares sons inaudibles
pour les estivants font songer
à de sappels surgis du fond
le soir encore hantant la foret



dans l'assiette tourbeuse d'un roc
une touffe de trèfles a pris le dessus
est-ce qu'un trèfle à quatre feuilles porterait
bonheur à une âme nomade?
en vain il n'y a rien
seulement ces plaintes inouïes
et les pleurs du passant.

...
***